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de manière à ce qu’il n’y eût qu’un seul homme de valeur, et cet homme, c’était lui. Le roi Léopold, peu favorable à l’opinion libérale, à laquelle il ne reconnaissait point volontiers la faculté de gouverner, était charmé de voir s’éloigner de ses conseils des hommes qui y apportaient une initiative personnelle et une volonté ferme, quoique respectueuse. Cela s’explique.

Le roi se croyait entaché de deux vices originels qu’il cherchait par de grands efforts à effacer : son origine révolutionnaire et sa qualité de protestant. Quoiqu’une partie de la noblesse et le clergé tout entier se fussent rangés du côté de la révolution, le roi n’en sentit pas moins que ce résultat était dû au hasard plutôt qu’au culte sincère d’un principe. L’aristocratie du sol et l’épiscopat ne pouvaient, selon lui, être franchement favorables à un prince né d’une révolution ; il chercha, en leur prodiguant les marques de sa confiance, à vaincre le mauvais vouloir qu’il leur supposait. Sa qualité de protestant le porta également à plus de déférence envers l’épiscopat et l’aristocratie catholique. Léopold avait devant lui les exemples de Joseph II, de Guillaume Ier tous deux vaincus, pensait-il, par le catholicisme politique, et il pensa que cette force n’avait pas cessé d’être prépondérante. La connaissance imparfaite qu’avait Léopold de l’opinion publique ne se révéla que trop clairement dans son attitude en présence du vote de défiance lancé par le sénat contre le cabinet libéral. Il ne tenait qu’au roi de savoir ce que pensait le pays de l’adresse du sénat ; le ministère Rogier ne lui demandait en effet que la faculté de consulter les électeurs. Après avoir vainement essayé d’obtenir une dissolution des deux chambres, il se borna à demander celle du sénat. Un refus catégorique fut la seule réponse qu’il obtint, et c’est devant ce refus que les ministres libéraux durent déposer leurs portefeuilles.

M. Nothomb, qui acceptait l’héritage des libéraux, à côté desquels il avait long-temps combattu, était de l’école des hommes politiques dits habiles ; il ne croyait guère à la puissance de l’opinion publique. Vaniteux à l’excès, il s’applaudissait de remplacer des hommes qui l’avaient relégué jusqu’ici au second plan, et, dédaigneux de cette probité qui les avait fait obéir aux nécessités constitutionnelles, il ne voyait dans le pays entier que les trois adversaires qu’il venait de détrôner, MM. Lebeau, Rogier et Devaux. C’était à les vaincre qu’il appliqua tous ses efforts, aux applaudissemens de ses nouveaux alliés, qui devaient bientôt devenir ses maîtres. Il crut habile de spéculer, au profit de ses rancunes, sur les inimitiés du parti catholique. Il ne s’aperçut pas d’abord que, chaque jour, les liens de la théocratie l’enlaçaient davantage, et que, pour prix du concours qu’on lui donnait, on lui demandait de renier toute sa carrière libérale. Plus tard, il ne put garder aucun doute sur les exigences des catholiques ; mais, dès les débuts de la nouvelle administration, une partie du corps électoral avait deviné les périls de l’alliance impie que les partisans de la théocratie se promettaient de resserrer. Les premières élections qui eurent lieu sous M. Nothomb portèrent déjà un cachet d’opposition vive, et quelques hommes importans du parti catholique furent écartés de la chambre.

Abusant du mot de politique mixte, et sous prétexte de gouverner avec les hommes modérés des opinions parfaitement distinctes qui nous divisaient, M. Nothomb ne tarda pas à jeter de profonds germes de passions et de haines dans le pays, et n’eût été la sagesse croissante des électeurs, nous aussi nous eussions été conduits sur la pente d’une révolution. La politique de