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prendre place chacun sous sa vieille bannière, la cause des idées modernes se retrouva en face du culte intolérant du passé. Il n’y avait plus de complication extérieure qui nécessitai des ménagemens au nom de la nationalité belge, définitivement assise ; la guerre s’ouvrit donc très franchement entre le ministère libéral pur, qui succéda au cabinet de Theux, et le parti catholique.

Il n’y avait plus alors de libertés à conquérir, il y avait des libertés à conserver, et le parti libéral arriva au pouvoir avec l’intention formelle de faire porter aux institutions si chèrement conquises par la Belgique les fruits qu’on s’en était promis. M. Charles Rogier prit le ministère des travaux publics et des chemins de fer, qui alors était le ministère important, et il y joignit l’instruction publique, ce grand bélier avec lequel le parti catholique comptait battre en brèche ses adversaires. Ce dernier département devint aussitôt le point de mire de la nouvelle opposition théocratique. Les armemens en guerre furent organisés et activés dans tous les évêchés, et la perte du ministère libéral fut résolue quand même. C’est alors qu’un évêque, celui de Liège, l’esprit le plus remuant et le plus despotique de notre clergé, entama la Bataille, dont le retentissement, servi par les loisirs et la haute intelligence de M. de Montalembert, pénétra jusqu’en France. Les temps étaient renversés dans les deux pays par cette levée de boucliers. Pendant que nous nous débattions contre les prétentions qui s’étaient révélées en France sous la restauration, c’est-à-dire l’influence des jésuites dans le gouvernement, vous voyiez poindre cette alliance du clergé avec les partis mécontens que nous avions connue sous le roi Guillaume. Le clergé se méprenait, ici comme là, sur l’esprit de son temps. 11 croyait avoir découvert dans les libertés publiques un instrument qui pouvait mieux que la tyrannie servir à la résurrection de son pouvoir ; il oubliait que, si le progrès des lumières peut diviser les esprits, il ne saurait en aucun cas conduire au despotisme.

C’est dans la liberté absolue de l’enseignement, on le sait, que les partisans de la prépondérance politique du clergé voyaient la principale garantie du succès de leur cause, et l’expérience que les catholiques belges faisaient de cette arme puissante provoquait alors en France le cri célèbre : « La liberté comme en Belgique ! » Fort de cette liberté, en effet, le clergé belge avait, et M. Lehon l’a dit à la tribune, mis la main sur toutes les avenues de la conscience. Déjà par le confessionnal on régnait sur les femmes, par les femmes sur les électeurs, par ceux-ci sur la commune, sur la province, sur l’état lui—même, car on refusait l’absolution à ceux qui lisaient des journaux libéraux, ou qui votaient pour les candidats progressifs. Restaient la jeunesse et l’enfance, et, grace à la liberté de l’enseignement, les pères de famille donnaient la préférence aux institutions où la religion et la morale étaient enseignées par des prêtres.

On comprend maintenant que la nomination de M. Rogier au ministère de l’instruction publique fut le premier grief des catholiques. Le clergé savait que celui-ci et son collègue M. Lebeau étaient fermement décidés à donner une nouvelle et forte impulsion à l’enseignement. L’épiscopat chercha donc par tous les moyens à faire rejeter le budget de M. Rogier. Déjà cependant l’opinion publique avait commencé à se prononcer avec énergie contre cette guerre inique. Le développement incessant que prenaient les couvens et les congrégations religieuses faisait grossir à vue d’œil la réaction contre l’épiscopat,