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intelligence. N’est-ce pas là l’association complète, telle que la demande la Démocratie pacifique ?

Dans cette communauté, qui date de bien des siècles, le travailleur serait-il exploité, comme on dit, et son travail ne serait-il pas rétribué conformément au produit ? Il est aisé de prouver que les plus grands avantages sont de son côté. Il est fort rare que le propriétaire recueille plus de 3 à 4 pour 1OO de la valeur de tous les objets qu’il met à la disposition du métayer. Celui-ci, outre la moitié des principaux produits, prélève pour son usage une foule de petites denrées, telles que les légumes et les fruits ; il prend encore sur la propriété son chauffage et tout le bois nécessaire à l’entretien des instrumens aratoires. Les réparations, la reconstruction des bâtimens, quand ils périssent par vétusté ou autrement, sont à la charge du propriétaire. En réalité, dans une période de dix ans, celui-ci n’a pas reçu le tiers du produit de son immeuble. Je ne crois pas qu’il y ait là un privilège aristocratique.

Le capital s’est donc concentré providentiellement, au profit de tous, dans un certain nombre de mains, afin qu’il eût la puissance de créer le travail. Le disséminer par la spoliation serait un crime et une absurdité économique. Tout ce que demandent les socialistes existe d’ailleurs en fait, nous le répétons, depuis qu’il y a une société ; ils n’ont pas su le voir, et ils veulent aujourd’hui fonder, par la spoliation et la guerre de classe à classe, ce qui a été fondé par la justice et la force des choses. Ils n’y parviendront pas. Ils peuvent pousser le peuple à s’entr’égorger ; mais leurs systèmes ne s’établiront jamais, parce qu’ils sont contre la nature des hommes et des choses. Après bien des orages, la société rentrera dans la voie qui lui a été tracée par les siècles.

Il me reste à dire un mot des communistes : ils veulent nous conduire tout d’un coup au but où les socialistes, qui se croient plus modérés, nous amèneraient graduellement. C’est le délire absolu de l’esprit et du cœur, c’est le chaos, c’est la mort. L’intelligence humaine peut-elle concevoir l’administration en commun de tout ce qui constitue la richesse d’une nation civilisée ? Si l’on veut faire de l’égalité, de la justice dans l’injustice, il ne faudrait pas seulement s’emparer, pour la communauté, de la terre et des maisons, il faudrait aussi réunir à la masse toute la fortune produite par les arts, les sciences, le commerce, l’industrie, la littérature, les fonctions publiques, les métiers, tout enfin. Qui donc administrera cette incommensurable communauté ? Qui répartira les produits ? Je ne vois que Dieu qui en ait la puissance. En vérité, on est aussi honteux qu’affligé d’être obligé de discuter de pareilles monstruosités ; mais comment s’y soustraire, puisque le communisme, sous une forme ou sous une autre, s’infiltre dans les plus hautes régions et menace d’entrer dans la législation ?