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atteint, jusqu’aux plus modestes ouvriers. Il y a donc une grande association nationale basée sur le libre arbitre. Chacun, en raison des facultés qu’il tient de la nature, agit dans cette grande communauté, et fait lui-même sa part de richesses aussi grosse qu’il le peut. La richesse est indéfinie, illimitée, puisqu’elle dépend des facultés de l’individu. On n’a qu’une manière équitable de la répartir, c’est le travail libre. On peut dire que c’est Dieu lui-même qui fait la répartition, en créant chaque jour les hommes avec des facultés, des passions, des goûts très divers. Laissez-les donc agir en toute liberté, chacun se classera bien mieux que vous ne sauriez le faire.

Je ne veux pas dire pour cela que la société doive entièrement abandonner les hommes qui, moins bien dotés par la nature, n’ont pu se créer une existence tolérable. Loin de là, je veux qu’on les aide autant qu’on le pourra par des institutions de bienfaisance prévoyante, par une éducation morale plus que par l’instruction. Il est prouvé que ce sont les vices qui appauvrissent, bien plutôt que l’exiguïté des salaires ; ceux qui ont de la moralité et de l’économie se tirent toujours d’affaire.

Nos réformistes, qui croient trouver dans la société des classes déshéritées, faute de se rappeler que le travail appartient à tout le monde, sont-ils plus pénétrans, plus justes, quand ils disent qu’il faut mettre le capital entre les mains de tous ? Pour ce faire, il n’y a qu’un seul moyen, c’est de prendre les capitaux à ceux qui les ont acquis à la sueur de leur front. C’est la révolution sociale, c’est la ruine générale et la guerre civile, c’est aussi la preuve au plus triste aveuglement. Quoi ! vous ne voyez pas que les capitaux sont en fait au service de tout le monde ? Le simple ouvrier d’une fabrique ne participe-t-il pas aux ; avantages du capital qui la fait marcher ? Et si ce capital se perd, les ouvriers ne souffrent-ils pas à l’instant ? N’en est-il pas de même du capital rural ? N’y a-t-il que ceux qui possèdent la terre qui en jouissent, et n’y a-t-il pas vingt-quatre millions de bras qui en vivent, si tous n’en possèdent pas ?

On croit encore innover en nous prêchant l’association du capital, du travail et de l’intelligence ; mais cette association est partout : bien aveugles sont ceux qui ne la voient pas ! Comment les esprits distingués qui propagent cette théorie n’ont-ils pas remarqué un fait immense, un fait qui occupe toute la surface du pays, depuis la Loire jusqu’aux Pyrénées ? C’est la culture par métayers. Le propriétaire fournit le capital de la terre transformée par les travaux des siècles ; il fournit encore les bâlimens d’exploitation, le logement de la famille, les outils aratoires, les semences, et enfin le capital des bestiaux. Le métayer n’apporte absolument que ses bras et quelques petits outils à la main, si le propriétaire entend l’agriculture, il fournit aussi son