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organisation, car il y en avait une, quoi qu’on en dise, chaque ouvrier débattait librement cette question avec un seul intéressé, te chef de fabrique. Ici il faudra délibérer avec tous les associés et se soumettre à la majorité, ou bien la difficulté sera réglée par un conseil d’administration. Dans l’un ou l’autre cas, il y a là des montagnes de mécontentement, de jalousies et de discordes. Cela seul suffirait pour dissoudre l’association.

La gestion sera-t-elle du moins plus économique ? y aura-t-il des produits plus considérables ? L’unité de direction, après l’intérêt individuel, est assurément la meilleure garantie d’une bonne gestion ; mais l’esprit démocratique ne permet pas de confier à un seul l’administration des intérêts collectifs. Il y aura donc un conseil d’administration. Supposons-le, et ce n’est guère dans l’ordre des faits probables, conaposé seulement de trois membres. Croit-on que ces hommes, qui devront être versés dans les opérations commerciales et industrielles, qui devront savoir la comptabilité, ne voudront pas être rétribués en raison de leurs capacités ? Leurs salaires formeront probablement une somme plus considérable que celle que prélevait le chef de fabrique, et ils ne risqueront pas, comme lui, de perdre toute leur fortune. En admettant que ces trois hommes aient une grande probité, croit-on qu’ils porteront à l’accroissement ou à la conservation du capital collectif le même zèle, la même activité que le possesseur unique du capital de la fabrique ? Ce serait bien peu connaître la nature humaine. Ne sait-on pas que les intérêts de l’état, qui sont ceux de la nation, sont en général moins bien soignés que ceux des particuliers ? C’est ce qui a fait dire que l’état était le plus mauvais des entrepreneurs.

Les ouvriers associés travailleront-ils avec plus d’ardeur et d’assiduité ? Seront-ils stimulés par le sentiment des intérêts communs et par l’espoir d’un dividende ? Tout le monde sait que l’intérêt individuel est beaucoup plus puissant que l’intérêt pour la chose publique ; les faits qui le prouvent surabondent. Le mince dividende promis aux membres de l’association, si toutefois il y en a après les divers prélèvement nécessités par l’application du nouveau système, sera d’autant moins de nature à exciter le zèle, qu’il devra se partager par égales portions. Chacun, dès-lors, s’étudiera à n’en pas faire plus que son voisin ; il n’y aura que peu ou point d’émulation, la production ne pourra manquer de diminuer. Le faible dividende de 42 francs dont j’ai parlé plus haut disparaîtra, et avec lui probablement une partie du capital.

Que serait-ce donc si l’association était complète, si on ne fixait pas un salaire, si la part de bénéfice pour chacun était uniforme, si surtout l’état se chargeait de fournir et d’alimenter les capitaux ? Il y aurait alors si peu de stimulans pour le travail, qu’il est naturel de croire que les à-comptes, ou le minimum que recevraient les ouvriers pour