Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuées, qui s’épaississaient de plus en plus ; la mer éleva sa voix sonore, et de la lente céleste sortirent victorieusement les étoiles éternelles.


Questions.

Au bord de la mer, au bord de la mer déserte et nocturne, se tient un jeune homme, la poitrine pleine de tristesse, la tête pleine de doute, et d’un air morne il dit aux flots :

« Oh ! expliquez-moi l’énigme de la vie, la douloureuse et vieille énigme qui a tourmenté tant de têtes : têtes coiffées de mitres hiéroglyphiques, têtes en turbans et en bonnets carrés, têtes à perruques, et mille autres pauvres et bouillantes têtes humaines. Dites-moi ce que signifie l’homme ? d’où il vient ? où il va ? qui habite là-haut au-dessus des étoiles dorées ? »

Les flots murmurent leur éternel murmure, le vent souffle, les nuages fuient, les étoiles scintillent, froides et indifférentes, — et un fou attend une réponse.


Le Port.

Heureux l’homme qui, ayant touché le port et laissé derrière lui la mer et les tempêtes, s’assied chaudement et tranquillement dans la bonne taverne le Rathskeller de Brème !

Comme le monde se réfléchit fidèlement et délicieusement dans un rœmer de vert cristal, et comme ce microcosme mouvant descend splendidement dans le cœur altéré ! Je vois tout ensemble dans ce verre l’histoire des peuples anciens et modernes, les Turcs et les Grecs, Hegel et Gans ; des bois de citronniers et des parades militaires ; Berlin, et Schilda, et Tunis, et Hambourg ; mais, avant tout, l’image de la bien-aimée, la petite tête d’ange, sur un fond doré de vin du Rhin.

Oh ! que tu es belle, bien-aimée ! Tu es comme une rose ! non comme la rose de Schiraz, la maîtresse du rossignol chanté par Hafiz, non comme la rose de Sâron, la sainte et rougissante fleur célébrée par les prophètes. Tu ressembles à la rose du Rathskeller de Brème. C’est la rose des roses ; plus elle vieillit, plus elle fleurit délicieusement, et son divin parfum m’a rendu heureux, il m’a enthousiasmé, enivré, et, si le sommelier du Rathskeller de Brème ne m’eût retenu ferme par la nuque, j’aurais été culbuté du coup !

Le brave homme ! Nous étions assis ensemble et nous buvions fraternellement, nous agitions de hautes et mystérieuses questions, nous soupirions et nows tombions dans les bras l’un de l’autre, et il m’a ramené à la vraie foi de l’amour. — J’ai bu à la santé de mes plus cruels ennemis, et j’ai pardonné à tous les mauvais poètes, comme à moi-même il doit être pardonné. — J’ai pleuré de componction, et, à la fin, j’ai vu s’ouvrir à moi les portes du salut, le sanctuaire du caveau où douze grands tonneaux, qu’on nomme les saints apôtres, prêchent en silence,… et pourtant dans un langage universel.

Ce sont là des hommes ! simples à l’extérieur, dans leurs robes de bois, ils sont, au dedans, plus beaux et plus brillansque tous les orgueilleux lévites du temple et que les trabans et les courtisans d’Hérode, parés d’or et de pourpre. — J’ai toujours dit que le roi des cieux passait sa vie, non parmi les gens du commun, mais bien au milieu de la meilleure compagnie !