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ouvriers le pain qu’ils gagnent à la sueur de leur front. Ceux qu’y conduisent leur mauvais sort et l’interruption de leurs occupations ordinaires y contractent bientôt des habitudes de paresse, et chaque addition que reçoit l’atelier stérile entraîne la désorganisation d’un travail productif. Un salaire médiocre obtenu dans l’oisiveté a pour la plupart des hommes plus d’attrait qu’un salaire élevé gagné par un labeur réel. Il ne faut donc pas s’étonner qu’on déserte l’industrie laborieuse, qui ne reçoit de la société qu’à la condition de lui rendre l’équivalent, pour l’industrie parasite, qui s’alimente de la substance d’autrui, et que, tandis que l’atelier national est surchargé, il ne soit pas une seule des branches de travail dont subsiste habituellement Paris qui ne demande des ouvriers : chacun peut faire à ce sujet une enquête auprès de son tailleur, de son bottier, de son chapelier, et, quant aux ateliers qui fabriquent pour le dehors, un grand nombre sont obligés, faute d’ouvriers bien plus que de capitaux ou de crédit, de refuser les commandes et de les renvoyer en Angleterre.

A Lyon, on se poste dans l’atelier national pour exiger des salaires inconciliables avec les prix de vente des étoffes ; entre les mains de l’association dévastatrice sous laquelle est courbée la ville, l’atelier est devenu une tranchée d’où l’on bat en brèche toutes les manufactures. Cette guerre a plein succès ; les fabriques tombent, les capitaux qui les alimentaient s’anéantissent bien plus qu’ils ne s’éloignent ; vendue à moitié prix[1], la récolte de soie de cette année passera presque tout entière à l’étranger, et avec elle les quatre-vingts millions de main-d’œuvre nécessaires pour la façonner. Ainsi l’atelier national d’aujourd’hui promet de grossir celui des saisons qui vont suivre.

Des résultats analogues se produisent déjà de tous côtés, et, à mesure que nous avancerons dans cette carrière funeste, on verra la désorganisation des travaux féconds correspondre à l’organisation des travaux stériles et s’étendre comme une lèpre, jusqu’à ce que le pays épuisé ne puisse plus soutenir aucun de ces derniers. Il ne saurait en être autrement. Un atelier d’où il ne sort aucune valeur échangeable, qui ne crée aucun capital reproductif pour la société, dans lequel le revenu public s’anéantit au lieu de s’immobiliser, a pour effet inévitable de tarir autour de lui toutes les sources de prospérité, et les ouvriers qui le peuplent ressemblent à ces moines qui ne faisaient d’autre travail que de creuser leur tombe. Toute la différence est que les moines savaient ce qu’ils faisaient, tandis que les ouvriers l’ignorent.

Les ateliers nationaux pouvaient apprendre aux ouvriers une chose

  1. Le kilogramme de cocons, qui vaut ordinairement 4 francs 50 cent., s’est vendu cette année 2 francs 10 centimes.