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Pendant que nous étions occupés à parcourir le village, l’on vint m’avertir que les femmes des sauvages se précipitaient dans des canots et qu’on les conduisait dans les bois à quelque distance. Sachant que cette manœuvre est un signe presque certain d’intentions hostiles chez les Indiens, je me rapprochai des embarcations, et je demandai des explications aux chefs qui m’entouraient. Ils protestèrent de leurs intentions pacifiques et rappelèrent les femmes.

Le second établissement des Indiens Chambiroas, situé sur la rive opposée de l’Araguaïl, est bien moins considérable que les autres. Le lendemain de notre arrivée, nous allâmes le visiter, et nous nous rendîmes ensuite, pour y passer la nuit, au troisième, au plus important de ces villages, nommés aldées par les Brésiliens. Nous nous trouvâmes cette fois au milieu d’une population très nombreuse ; mais la confiance entre nous et les sauvages était établie, je n’avais plus à redouter chez nos gens qu’un excès de sécurité. J’ordonnai donc à l’équipage de rester embarqué, tandis que je descendais à terre avec deux de mes compagnons de voyage ; mais à peine eus-je touché la plage, que je fus enlevé dans les bras de quelques vigoureux Indiens, qui m’emportèrent en courant jusqu’au fond d’une rue dont la longueur me parut démesurée. Parvenu à une dernière hutte, celle du chef, ils me firent asseoir sur une natte et m’apportèrent divers ragoûts, dont je me crus obligé de prendre ma part, malgré la répugnance qu’ils m’inspiraient. La gaieté la plus vive régna bientôt, et je laissai descendre à terre la moitié de l’équipage. Nous avions chacun adopté un Indien, qui était devenu notre compadre, et rien n’était plaisant comme de nous voir nous promener gravement bras dessus bras dessous avec ces bons sauvages parfaitement nus, et parlant chacun dans sa propre langue.

Le soir, plusieurs centaines d’Indiens, peints et ornés de plumes, exécutèrent avec un ensemble remarquable des danses d’un effet vraiment magique ; même pendant ces exercices, ils tenaient leurs armes à la main. La nuit venue, pour nous donner une garantie de leurs intentions pacifiques, plusieurs de leurs principaux chefs vinrent coucher parmi nous, et quelques-uns d’entre eux s’étendirent à terre au-dessous de mon hamac.

Je savais que ces Indiens conservaient parmi eux quelques Brésiliens, qu’ils avaient, disait-on, réduits en esclavage. Je me mis en rapport avec ces prisonniers, qui étaient au nombre de quatre : deux femmes et un habitant du Para, plus un soldat déserteur de la province de Goyaz. Ces gens se louaient des sauvages, qui les avaient bien traités, mais qui s’étaient refusés à les laisser partir. J’obtins d’eux des renseignemens intéressans sur les coutumes de ces peuples. J’appris que les Indiens connaissaient depuis long-temps, et sur les rapports des Carajas du haut de la rivière, l’entreprise que j’avais formée.