Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

singulier concert annonçait la présence d’un poisson nommé uvacara. L’uvacara à la singulière habitude de sortir la nuit de son élément habituel et de porter à terre dans sa bouche, et l’une après l’autre, une grande quantité de pierres de la grosseur du bout du doigt ; puis il dépose sur ce lit ses œufs, qui, par la forme et la couleur, ressemblent à des graines de moutarde. Parmi les quadrupèdes que nous eûmes occasion de rencontrer sur les bords de l’Araguaïl, je ne citerai que le singe hurleur, ainsi nommé à cause de l’éclat de sa voix, le cabiai ou capivare, animal amphibie assez semblable à un cochon de grande taille, deux ou trois espèces de cerfs, et des loutres.

Parvenus enfin à l’extrémité nord de la grande île Bananal, nous nous arrêtâmes encore pour en déterminer la position géographique ; trois jours après, nous rencontrâmes le premier rapide que présente la rivière, et nous le passâmes sans difficulté.

Le lendemain, 3 juillet, nous vîmes enfin l’espèce humaine paraître à son tour au milieu de ces solitudes. Au moment même où nos canots se remettaient en marche, nous aperçûmes dans le lointain une pirogue remplie d’Indiens ; je désirais vivement établir des relations avec eux, mais ils s’enfuirent à notre approche en s’aidant avec vigueur des longues perches qui leur servaient de rames. Je cherchai vainement à les joindre, mon embarcation lourdement chargée ne put y parvenir : alors j’invitai le docteur Weddell, qui commandait la plus légère de nos barques, à les poursuivre, et nous vîmes commencer une chasse des plus curieuses par l’agilité, la vigueur que montrèrent les rameurs sauvages comme les rameurs civilisés. La course dura long-temps : tantôt les gens du docteur, accablés de fatigue, perdaient l’avantage ; tantôt, faisant de nouveaux efforts, ils semblaient au moment d’atteindre l’ennemi qui leur échappait sans cesse ; mais bientôt une petite cascade barra la rivière, et les Indiens, obligés, pour se servir de leurs perches, de rester dans les eaux peu profondes, longèrent la rive, tandis que notre embarcation se précipita à force de rames au milieu de la chute et leur coupa le chemin. Lorsque les sauvages se virent en notre pouvoir, ils se jetèrent à genoux, en élevant au-dessus de leurs têtes des fruits de diverses espèces. Leur canot était rempli de flèches, et nous sûmes par la suite que c’étaient des espions qui avaient été envoyés pour nous surveiller. Pendant la nuit, ils s’étaient approchés de notre camp, sans doute afin de nous compter. Ils étaient entièrement peints en rouge, leurs cheveux étaient enduits d’huile de coco ; leurs oreilles étaient percées et traversées chacune par un long bâton, et à travers leur lèvre inférieure pendait un instrument d’albâtre artistement travaillé. Ils étaient entièrement nus et portaient seulement au poignet des bracelets de coton, destinés à amortir la pression de la corde de l’arc. Nous comblâmes ces gens de présens et de marques d’amitié.