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il y a une cinquantaine d’années : depuis lors, la terreur qu’inspirent ces tribus a empêché le gouvernement brésilien de donner suite à ces tentatives. Je pensai qu’une expédition qui ouvrirait de nouveau cette belle voie de communication serait non-seulement utile aux sciences, mais encore au Brésil, dont je pourrais ainsi reconnaître l’hospitalité, et je me décidai à entreprendre cette tâche. Les autorités de Goyaz firent tout ce qui dépendait d’elles pour m’en dissuader ; mais, voyant ma résolution inébranlable, le président plaça des soldats sous mes ordres et me donna tout l’appui dont il pouvait disposer. Il fut convenu que nous irions nous embarquer au petit village de Satinas, situé à une soixantaine de lieues au nord-ouest de Goyaz, d’où nous continuerions notre route dans des canots, tandis que nos mules et nos chevaux reviendraient sur leurs pas et iraient nous attendre à Porto-Imperial par la route de Cavalcante.

Ce fut le 28 avril 1844 que nous partîmes de Goyaz : toutes les autorités et les principaux habitans nous escortèrent à cheval jusqu’à une lieue de la ville ; à deux lieues plus loin, j’atteignis mon camp, mais tout y était dans la plus extrême confusion. J’avais depuis long-temps donné l’ordre de tout préparer pour le départ de ce jour, mais on avait négligé d’attacher les animaux, et, lors de mon arrivée, il en manquait une vingtaine. La plupart des muletiers étaient à la recherche des bêtes de charge ; les factionnaires seuls se trouvaient à leur poste.

Il est bon de remarquer à ce propos que, lorsqu’on voyage dans l’intérieur de l’Amérique du Sud, l’on a la coutume de laisser chaque soir les animaux paître en liberté. Cependant, pour empêcher qu’ils ne se dispersent à l’infini, on adjoint à chaque caravane un vieux cheval, qu’on appelle la madrina, et qui n’a d’autre office que de servir de chef de famille aux mules. En peu de temps, cet animal, par son expérience des pâturages et des points vers lesquels on peut trouver de l’eau, prend sur les mules le plus singulier ascendant ; celles-ci lui obéissent en toutes choses, le suivent sans cesse. Il est vrai que la madrina sait faire, au besoin, respecter son autorité par des ruades vigoureuses, allongées aux mules indociles. Le cheval conducteur porte pour toute charge une cloche au cou, et les muletiers, avertis par le tintement, ont bien vite appris de quel côté ils doivent diriger leurs recherches. Si pendant la nuit un danger quelconque menace les mules, la troupe entière se serre autour de la madrina ; lorsque l’alerte est donnée par la présence d’un tigre ou jaguar, les mules forment autour de leur protectrice un cercle ; toutes leurs têtes se tournent vers la madrina’, et elles écartent par des ruades redoutables l’ennemi qui les assiège en hurlant. Toutefois, si l’on peut, grâce à la madrina, réunir jusqu’à un certain point de nombreuses troupes de mules, trois ou quatre cents par exemple, il n’en est pas ainsi des chevaux, qui sont beaucoup moins