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oublié de dire que nous ignorions tous la langue portugaise, et notre état d’irritation était tel que nous ne pouvions pardonner à des hommes nés dans les montagnes du Brésil de ne pas comprendre le français. Étonnés du désordre qui régnait parmi nous, les habitans du pays nous prenaient pour de vrais sauvages, et, lorsqu’on s’adressait à l’un d’entre eux pour lui demander des renseignemens, il ne manquait jamais de conduire son interlocuteur dans l’église la plus voisine pour voir quel effet produirait l’eau bénite sur des voyageurs de mine aussi suspecte. Un jour, l’un de ces campagnards nous assura que saint Antoine seul pouvait nous faire retrouver une mule égarée depuis près d’une semaine ; en conséquence, il détacha de son cou une petite image de ce saint, et lui adressa une fervente prière. Comme cette oraison restait sans résultat, il enterra l’image ; mais, la mule s’obstinant à ne pas reparaître, il retourna le bienheureux et lui mit les pieds en l’air. Enfin, ce dernier moyen n’ayant pas mieux réussi que les autres, il se décida à donner au saint une sévère flagellation, et au même instant on vit apparaître l’animal perdu. Alors s’éleva une vive discussion entre le dévot campagnard et l’homme qui depuis plusieurs jours cherchait l’animal : il s’agissait de savoir à qui appartiendrait la récompense promise. Les gens du pays opinaient tous pour celui qui avait flagellé saint Antoine ; je me prononçai pour le muletier, ce qui me valut les plus graves reproches d’injustice. Ces faits, bien puérils en eux-mêmes, jettent cependant une assez vive lumière sur l’état moral d’une partie de la population brésilienne.

Traverser la Serra d’Estrella, visiter les principales villes de la province des Mines, nous diriger ensuite vers Goyaz, tel était le plan que nous avions d’abord à remplir. Parmi les points remarquables de cet itinéraire, je citerai la Serra d’Estrella d’abord, puis Barbacena, Villa-Rica, et enfin Goyaz.

La Serra d’Estrella offre des points de vue ravissans ; les accidens les plus variés du sol y sont rehaussés par l’éclat d’une magnifique végétation. De gracieux palmiers se balancent au-dessus des fougères, et partout des fleurs brillantes s’étalent au milieu des lianes et des bambous. L’araucaria ou if du Brésil, semblable à un immense candélabre, domine çà et là le paysage. Nous vîmes dans la Serra d’Estrella, pour la première fois, un animal remarquable par les anomalies de son organisation, et encore par les fables dont on s’est plu à charger son histoire : je veux parler du paresseux, dont les mouvemens sont lents sans doute, mais bien moins qu’on ne l’a prétendu. Il a beaucoup des allures de l’ours, grimpe avec facilité, et se cramponne aux branches avec une incroyable vigueur ; il ne se nourrit que du bourgeon terminal du seciropia. A chaque instant, on rencontre sur les routes de la Serra des troupes de mules se dirigeant vers la capitale. Quelques-unes viennent de la