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un champ plus vaste à l’étude de la race humaine. Ici, dans la même chaloupe, le Russe et le Suédois rament à côté du Grec et du Portugais. Là, des matelots chinois et malais descendent des flancs d’un bâtiment de la compagnie des Indes. Des habitans de la Nouvelle-Zélande et de la Polynésie, apportés par des baleiniers américains, attirent l’attention par leur apparence sauvage et par leurs gestes désordonnés. Dans les rues tortueuses de la ville fourmillent des représentans de toutes les tribus de l’Afrique, les uns défigurés par de profonds tatouages, les autres par leurs dents limées en forme de clou. A tous ces élémens si divers se mêlent encore les Cabocles, représentans de la race indienne, qui, en qualité de muletiers, viennent de Saint-Paul ou de la province des Mines.

Je ne parlerai de notre réception à Rio-Janeiro que pour rendre hommage à la bienveillante hospitalité qui, à la veille d’un voyage pénible au milieu de peuplades barbares, multiplia sur nos pas les fêtes mondaines comme autant d’adieux de la civilisation. Le mariage de l’empereur fut célébré pendant notre séjour et nous permit d’admirer, dans tout son éclat, cette cour du Brésil qui, en dépit des formes constitutionnelles, conserve encore religieusement l’ancienne étiquette portugaise. On comprend ce que l’adorable climat de ces belles régions dut ajouter de charme aux cérémonies, aux fêtes somptueuses qui se succédèrent sous nos yeux dans la capitale brésilienne. 11 fallut pourtant nous arracher à toutes ces joies, il fallut songer aux apprêts du départ, et la période vraiment intéressante de notre séjour au Brésil allait commencer avec les premières fatigues du voyage.

Ceux qui n’ont parcouru que des régions civilisées, où il existe des moyens réguliers de transport, ne peuvent se faire une idée des difficultés qui entourent une expédition tentée dans l’intérieur du Brésil. Nous savions qu’une portion des régions qui s’étendent entre Rio-Janeiro et Lima est déserte, ou habitée seulement par des nations sauvages et hostiles. Même dans les établissemens les plus considérables de l’intérieur, nous devions nous attendre à manquer des objets d’absolue nécessité. En ne comptant pas parmi ces objets le pain, dont nous devions nous passer pendant près de trois ans, nous avions encore à faire d’immenses provisions. Il fallait ne rien oublier de ce qui pouvait être nécessaire, et cependant nous n’avions pour déplacer ce vaste matériel que des mules ne pouvant porter chacune qu’un poids d’environ 75 kilogrammes divisé en deux lots parfaitement égaux. Tout prévoir et en même temps agir avec l’économie imposée par l’insuffisance de l’allocation accordée à l’expédition, tel était pour nous le problème à résoudre. Après trois mois de travaux et de peines, tout paraissait cependant prêt pour le départ, et l’on commençait déjà à charger les animaux, lorsqu’on s’aperçut que les caisses vides, faites dans de trop