Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disait : « Ce moment de fête n’est point celui d’affliger vos cœurs par le tableau de la longue série des malheurs qui désolèrent l’humanité pendant cette période calamiteuse ; le caractère de la tyrannie qui remplit cette période fut d’avoir constamment, au nom du peuple, fait égorger le peuple ; au nom de la liberté, érigé en vertus civiques l’anarchie, la débauche, la délation, la férocité ; au nom de l’égalité des droits, remplacé l’esprit de propriété par l’esprit de rapine, et sapé par cette subversion les bases de l’industrie, du commerce et de toute prospérité nationale ; au nom de la raison, proscrit les lumières et les arts…, étouffé tout ce qu’il y a dans la nature d’affections douces, fait taire la pitié, la pudeur, l’amour paternel et filial, brisé enfin, par une philosophie fausse et incompatissante, tous les liens qui unissent les hommes, soit entre eux par l’amitié, soit au passé par les souvenirs, soit à l’avenir par l’espérance… La république alors n’était presque plus que dans nos armées ; c’est dans les camps que s’était réfugiée l’humanité ; les défenseurs de la patrie, en couvrant la France de leurs lauriers, dérobèrent, pour ainsi dire, aux regards les crimes qui l’avaient inondée[1]. »

Enfin M. de Chateaubriand se trouvait d’accord avec un homme que la démocratie ne reniera pas, car il fut l’un de ses plus valeureux champions, avec Armand Carrel. Carrel, après juillet 1830, parlant aux petits plagiaires ineptes qui, à force d’admirer la terreur, n’auraient pas été fâchés de la recommencer, leur disait : « Vos pères s’abandonnèrent sans retenue à tous leurs besoins de vengeance ; mais que leur en revint-il ? Demandez-le aux vieillards qui vivent encore parmi vous et qui ont vu ces temps de violence et de suspension des lois ; ils vous diront qu’après avoir élevé et renversé vingt idoles, après avoir connu toutes les extrémités de la faim, de la misère et de la dégradation morale, après avoir, pendant trois ans, hué chaque jour au pied de l’échafaud ceux que la veille ils applaudissaient dans les clubs et aux assemblées, ils allèrent s’éteindre sous la main étouffante du soldat qui les avait mitraillés en vendémiaire. Les mêmes calamités, le même esclavage final, seraient le résultat de toute violence pareille à celles qui rendirent si épouvantablement fameuses les premières années de notre révolution[2]. »

Voilà le vrai. Maintenant, entre les grands noms que nous venons de citer, placez tous les grands noms, tous les grands cœurs que le monde révère et admire depuis soixante ans ; placez-y même, pour ceux qui croient à leur génie, les premiers hommes auxquels on a donné le nom de socialistes, Saint-Simon et Fourier : vous trouverez chez tous le

  1. Discours de Garnot, au 9 thermidor 1797.
  2. National du 17 décembre 1830.