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si banales, de M. de Lamartine s’attachaient avec une persévérance trop singulière à des objets qu’on n’eût point crus dignes d’une pareille prédilection. Seul, M. Marie, que l’assemblée nationale a voulu récompenser de son courage en lui donnant hier la présidence, luttait contre un entraînement ou une tactique qui répugnait à sa probité. Il glorifiait le travail libre au moment même où M. Louis Blanc le calomniait ; il gourmandait dernièrement encore les ateliers nationaux au moment même où M. de Lamartine leur promettait l’équivalent du milliard de Barbès.

Vaine résistance ! Cette tactique, inutilement combattue, a porté ses fruits, des fruits sanglans. Ceux qui flattaient de la sorte et l’utopie et l’anarchie n’ignoraient pas assurément que ce ne sont point là des instrumens de règne dans un pays qui n’est pas tout-à-fait abaissé ; ils craignaient seulement d’être détrônés par l’esprit d’ordre et de bon sens, et ils ne cherchaient qu’à se défendre de ses justes attaques en lui opposant ce qu’ils lui trouvaient de plus contraire. Mais ces désirs de jouissances matérielles et de reconstruction sociale ainsi surexcités dans les masses ne pouvaient point se rassasier à si bon marché ; mais ces rêves d’usurpation éclos dans les âmes les plus vulgaires ne pouvaient se résoudre en belles paroles. Il fallait des satisfactions plus réelles au bout de ces trois mois de misère que le peuple avait mis, disait-on, au service de la république ; il fallait une part de pouvoir pour apaiser ces ambitions ignorées qui ne voulaient pas se contenter d’avoir fait gratuitement la courte échelle aux ambitions parvenues. Des consciences fermes et droites auraient imposé silence à des prétentions injurieuses, et rejeté dans leur néant ces dictateurs de la barricade et du pavé. Des consciences engagées et vacillantes n’ont essayé de se délivrer d’une obsession si cruelle qu’en lui cédant toujours davantage, qu’en l’irritant à force de lui céder : il y avait des relations qu’on ne pouvait décemment accepter sous l’œil du pays ; on subissait en revanche l’esclavage intime de leur familiarité, et l’on s’imaginait les user à la longue en ajournant l’avènement dont on les berçait. D’autre part, des intelligences convaincues auraient fixé tout de suite la limite inévitable où devaient s’arrêter les espérances des portions malheureuses du corps social ; elles auraient dit nettement ce qu’on devait faire et ce qu’on ferait pour le plus grand bien du plus grand nombre, rien de plus, rien de moins. Des intelligences flottantes, égarées par les faux calculs de leur vanité, n’étaient point à même de contenir ainsi les appétits populaires, de réprimer les aspirations excessives pour déférer aux vœux légitimes. Elles ont, au contraire, provoqué tous les emportemens par des leurres insensés. Des politiques de peu de sens et de beaucoup d’orgueil se sont figuré que ces emportemens de la foule seraient entre leurs mains une arme efficace qu’eux seuls pourraient manier et qui les protégerait, un épouvantail avec lequel ils effraieraient les prudens et les sages, dont ils se sentaient d’instinct les adversaires. Ils ont ménagé de leur mieux cette arme redoutable : le jour devait pourtant arriver où elle se retournerait contre eux.

On a donc vu pour la première fois peut-être un gouvernement s’appuyer sur des auxiliaires qu’il était, par pudeur, obligé de traiter en ennemis toutes les fois qu’ils se nommaient trop publiquement par leur nom ; on l’a vu couvrir et sauver ces ennemis déclarés aussi souvent qu’ils étaient compromis, parce qu’il ne voulait point, même après leur défaite, renoncer aux services qu’il lui rendaient. Quel bizarre progrès dans ces rapports vraiment extraordinaire