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que se sont succédé, après le Prima to, les Prolegomeni, le Gesuita moderno et dernièrement enfin l’Apologia. L’explosion du mois de mars devait mettre fin à cette situation. Sous peine de déchoir et de s’amoindrir, M. Gioberti ne pouvait désormais s’abstenir plus long-temps d’entrer à son tour dans l’action et de se jeter dans la lutte dont il avait été le promoteur. Ses amis et ses partisans, ceux qui avaient prêché avec lui l’indépendance et la liberté, avaient dû passer de la sphère des spéculations et du terrain des principes aux labeurs plus ingrats de l’application. M. Balbo est président du conseil des ministres en Sardaigne ; M. d’Azeglio se bat contre les Autrichiens, ainsi que M. Minghetti, membre du cabinet, qui s’est retiré dernièrement devant l’encyclique du pape. Tout le monde est au camp ou dans les parlemens. M. Gioberti avait à opérer une transition toujours difficile, difficile surtout pour lui en raison de la haute position que lui a faite l’opinion publique. Il s’est tiré avec bonheur de cette épreuve dangereuse. Après avoir long-temps ménagé sa venue, et résisté aux offres comme aux sollicitations, il a saisi l’occasion que lui fournissaient les républicains. Le parti Mazzini avait pris à Milan, au mois d’avril, une attitude inquiétante. La propagande qu’il avait organisée, l’agitation des provinces, la proclamation de la république à Venise, menaçaient de compromettre la question de l’annexion, c’est-à-dire celle de la monarchie constitutionnelle. Au moment où les populations allaient être appelées à se prononcer, il devenait nécessaire de frapper un grand coup, et dans cette crise décisive il ne fallait rien moins que l’intervention de M. Gioberti pour décider la victoire. Le chef du parti libéral a couru à Milan. Le sort de l’Italie est là, avait-il dit. Mettant à profit le prestige dont son nom et sa personne avaient été jusqu’alors entourés, il s’est présenté tout à coup aux populations, les a haranguées énergiquement, et dans un rapide voyage à Brescia, à Parme, à Plaisance, pendant lequel il a été l’objet des ovations et des démonstrations les plus significatives, il a emporté d’enthousiasme le succès du scrutin qui allait s’ouvrir. Jamais triomphe ne fut plus rapide et plus complet. Ce voyage de M. Gioberti a été un véritable événement politique ; il a achevé la constitution du royaume d’Italie : cette constitution, c’est la fin de la guerre. L’Autriche semble elle-même partager cette opinion et accepter sa défaite, car on annonce l’ouverture de négociations en vertu desquelles elle retirerait ses troupes, moyennant une indemnité pécuniaire. Cette demande serait motivée sur les dépenses que le gouvernement impérial aurait faites pour la Lombardie depuis trente ans. Si les Italiens adhèrent à une proposition de ce genre, et ils ont suffisamment fait leurs preuves pour pouvoir l’accepter, leur bel paese cette fois sera bien à eux ; ils l’auront payé de leur or et de leur sang. C’est le pape qui aurait, dit-on, pris l’initiative et la conduite de cet accommodement, fidèle en cela à son caractère et au rôle conciliant et pacifique dont il n’a jamais voulu se départir. Pie IX enfin aurait promis à M. Gioberti de venir lui-même couronner à Milan le roi Charles-Albert. En vérité, il nous semble que le roi de Piémont aura contracté envers M. Gioberti une de ces dettes de reconnaissance dont il est parfois difficile de s’acquitter.

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V. de Mars.