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emportement de patriotisme juvénile, à l’occasion des préparatifs que le gouvernement français a cru devoir faire sur la frontière des Alpes. La concentration d’une armée entre Lyon et Grenoble, interprétée d’abord comme une menace de propagande républicaine, a jeté l’alarme dans le parti libéral, qui voit avec raison, dans une intervention, la ruine de son œuvre et l’indépendance de l’Italie remise en question par une guerre européenne. Au sein des populations, ce mot de république, jeté tout d’un coup par-delà les Alpes, a semé l’effroi et réveillé des souvenirs dont la trace est encore profonde. Un cri unanime s’est élevé contre nous ; tout le monde s’est trouvé d’accord pour repousser un service qu’on eût, il y a six mois, sollicité et accepté avec reconnaissance ; et si quelque stimulant pouvait s’ajouter, chez les croisés italiens, à la haine de l’Autrichien et au désir d’en finir promptement avec lui, ce serait assurément la crainte de se voir secourus par la France.

« Surtout ne venez pas nous secourir ; » tel est le refrain de toutes les correspondances qui arrivent d’Italie. Et après tout, en dehors de la raison politique, il y a là pour les Italiens une question d’amour-propre national qui veut être respectée. Nous comprenons cette noble jalousie : ils se sont jusqu’à présent trop vaillamment tirés d’affaire pour qu’une intervention inopportune vienne leur ravir la moindre part des périls et de la gloire de cette guerre, que l’histoire inscrira parmi les plus saintes et les plus légitimes. Combien en est-il qui soient dignes de ce nom ? De telles bonnes fortunes ne se rencontrent pas souvent dans la vie des peuples. Nous comprenons donc l’enthousiasme de ces bataillons de volontaires accourus de toutes parts à la guerre de l’indépendance ; leur cause est celle du droit et de la justice. « Braves et intrépides jeunes gens, disait dernièrement M. Gioberti dans une adresse à l’armée datée du quartier-général de Somma-Campagna, vous qui avez couru avec tant d’ardeur de l’Athénée au camp, permettez que je vous salue comme la fleur de l’armée italienne. Les premiers tumultes des révolutions sont d’ordinaire excités par la jeunesse qui fréquente les chaires de la science ; mais vous, étudians italiens, non contens de vous faire les champions de la liberté dans le Forum, vous avez voulu aussi en être les soldats sur le champ de bataille et, au besoin, les martyrs. Que le ciel vous bénisse ! Et moi aussi, j’ai été des vôtres ; il m’est doux de m’en souvenir. Dans ce temps, nous ne pouvions que pleurer sur l’Italie morte ; à vous était réservée la gloire de la ressusciter. »

C’est en effet en grande partie dans les universités que se sont recrutés les corps-francs qui sont venus grossir l’armée piémontaise. Ceux auxquels s’adressait plus particulièrement M. Gioberti formaient un petit corps qui, placé à l’aile droite, occupait les positions de Curtatone et Montanara. C’étaient des Toscans de Pise et de Sienne, conduits au feu par leurs professeurs, et que le hasard des opérations militaires réunissait sur ces poétiques bords

… Tardis ingens ubi ftexibus errat
Mincius et tenerâ praetexit arundine ripas.


L’effort principal de l’armée autrichienne s’est porté sur eux dans la dernière affaire du 29 mai. Attaqués par treize mille impériaux, les Toscans ont résisté courageusement pendant près d’une journée, et ne se sont repliés qu’en laissant deux cent cinquante des leurs sur le champ de bataille. Parmi les morts se trouvaient deux de leurs professeurs, Pilla, géologue napolitain, et Montanelli.