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tout veuille bien devenir argent. M. Duclerc est un jeune homme qui a beaucoup de conscience et de bonne volonté ; c’est assez pour tout apprendre, ce n’est pas suffisant pour rien diriger. Il était l’économiste du National ; on ne saurait dire en vérité que ce soit une raison de passer d’emblée premier financier de la république.

M. Duclerc doit sentir maintenant combien il est vrai que la critique est plus aisée que l’art, et M. Garnier-Pagès peut bien risquer avec lui la même confession. L’on se rappelle l’acerbe censure promulguée dans les rapports du 9 mars et du 8 mai contre l’administration des finances, telle qu’elle avait fonctionné durant les dix-huit ans de la monarchie de juillet. M. Garnier-Pagès avait répété là par deux fois cette conclusion très inattendue et encore moins justifiée « que la république sauvait la France de la banqueroute. » Mu par une honorable et légitime susceptibilité, M. Lacave-Laplagne a cru devoir répondre à une accusation qui pesait sur lui plus que sur personne. Sa réponse, d’une extrême modération de formes, ne contient pas un mot dur, pas une récrimination, mais elle est remplie de faits et de chiffres. Le vrai tort de l’ancienne administration financière, c’est d’avoir escompté l’ordre et la paix, comme si l’ordre et la paix étaient choses éternelles. Le régime de juillet avait cédé à cette illusion qui perd les banquiers en temps de prospérité : il avait compté sur les affaires pour liquider les affaires ; le compte serait bon, n’étaient les incidens. M. Lacave-Laplagne n’est pas du moins responsable de l’incident de février, et il profite de la neutralité qui lui est ainsi acquise pour réduire publiquement à leur juste valeur les chiffres exagérés et les imputations hâtives de M. Garnier-Pagès. Celui-ci serait aujourd’hui sans doute moins sévère ; il a expérimenté déjà de combien on se trompe quand on calcule au bénéfice de ses propres plans. Dans son rapport du 9 mars, il ne craignait pas d’affirmer que les bons du trésor seraient toujours soldés à bureau ouvert, et il admettait la possibilité que le 5 pour 100 remontât au pair avant un mois. Quelques jours après, les bons du trésor n’étaient plus payés, et M. Duclerc n’en trouve pas encore les porteurs assez intéressans pour se croire aujourd’hui très pressé de s’acquitter avec eux. Le trésor a vidé son encaisse de 192 millions, le 5 pour 100 est à 68, et, malgré l’impôt levé sur le pays, malgré l’emprunt frappé sur la banque, les services les plus nécessaires ne sont pas assurés pour demain. À demain donc, au plus tôt qu’on pourra, l’intervention décisive de l’assemblée nationale !


AFFAIRES D’ITALIE
LA GUERRE DE L’INDÉPENDANCE. — CONSTITUTION DU ROYAUME DE L’ITALIE.


Les Italiens paraissent avoir surtout à cœur de justifier le mot prononcé il y a quelques mois par le roi Charles-Albert et répété depuis sur tous les tons par tous les journaux de la péninsule : Italia farà da se. Ils entendent se suffire à eux-mêmes, se passer du secours toujours onéreux qu’apporte l’allié le plus désintéressé, et prouver, ainsi que l’a dit un éloquent historien, qu’une nation n’est réellement digne de l’indépendance que lorsqu’elle est assez forte pour la conquérir. Cette ombrageuse susceptibilité s’est même produite avec un certain