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avec laquelle la marée y monte et s’en retire ; elle donne rarement aux navires le temps d’en atteindre le fond, et il leur fallait naguère deux marées pour parvenir au bassin à flot. Ces conditions excluent les grands bâtimens et les mouvemens nombreux. Aussi les formes et les échantillons des navires dieppois se sont adaptés à l’état du port ; leur rusticité n’est pas dépourvue de grace, mais ils ne sont excellens chez eux qu’à la condition d’être ailleurs en désavantage. Le Hâvre, au contraire, est très favorisé par la durée de la haute mer.

Sans tenir assez de compte des limites infranchissables que la nature met quelquefois aux projets des hommes, Louis XVI voulut reconstituer l’ancienne prospérité de Dieppe. Il fallait commencer par expulser du port les masses de galets qu’y poussent les tempêtes. Il fit construire, en 1778 et 1779, une écluse de chasse qui devait correspondre à une retenue d’eau de 3,080,000 mètres cubes. Une pareille puissance aurait affranchi le chenal ; mais le bassin des chasses n’a jamais, en réalité, contenu que 666,000 mètres d’eau, et l’on a long-temps combattu l’invasion du galet en le retenant entre des épis transversaux dont les intervalles ont été bientôt comblés. Le moyen le plus efficace, après les chasses, dont on se soit avisé est celui qui s’emploie aujourd’hui : il consiste à faire passer, en voiture ou en canot, devant le chenal, les 24,000 mètres cubes de galet qu’y déposeraient les courans d’ouest. On a mis deux cents ans à faire cette découverte. Quoi qu’il en soit, des projets de travaux d’une étendue disproportionnée avec les développemens possibles du commerce de Dieppe furent approuvés en 1786, et maintenant, éclairés par l’expérience, nous reconnaissons que l’exécution de ces projets aurait gâté ce qui existe. Napoléon se contenta de faire réparer les effets de l’abandon où la révolution avait laissé le port. Le gouvernement qui vient de tomber l’a doté d’un vaste bassin à flot qui sera desservi du côté de la terre par le chemin de fer de Rouen. Cette combinaison paraît devoir faire de Dieppe le point d’arrivage des bois du Nord et des houilles anglaises que consomment l’industrie de la Seine-Inférieure et même celle de Paris. Si le mouvement en devenait très considérable, le chenal actuel du port n’y suffirait pas ; il a 700 mètres de longueur, est obstrué de galets par les moindres coups de mer, et, dès qu’il vente frais du large, la mer y devient si tumultueuse, que deux bâtimens de commerce ne sauraient s’y croiser sans danger : le temps, l’espace et la sécurité manqueraient donc à la fois à la navigation. On pourvoirait à tout en ouvrant, au pied de la falaise de l’ouest, un second chenal qui serait exclusivement affecté à la sortie des navires.

Dieppe est la patrie de Duquesne, et le culte que ses concitoyens rendent à sa mémoire montre quelles sentimens dont il était animé vivent toujours au milieu d’eux. Ainsi que Jean-Bart, que Duguay-Trouin, que Ruyter, ce grand homme de mer sortait de la marine marchande : il