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Affranchie de la servitude des galets par l’écluse qui devrait porter le nom de Penthièvre, l’entrée du port est aujourd’hui fixée par des travaux d’une grande solidité ; la digue de galets sur laquelle ils s’appuient, fortifiée par l’action des flots, a maintenant 200 mètres de largeur à la base et 10 mètres de hauteur ; la stabilité en est devenue parfaite, et elle résiste par sa masse aux coups de mer les plus furieux. Les lois des 19 juillet 1837 et 6 juillet 1840 ont doté le Tréport d’un bassin à flot qui se prolonge par le beau canal de la Bresle jusque sous les murs d’Eu, et remet, dans la rigoureuse acception de ce nom, la ville en possession de l’ulterior portus des anciennes chroniques. Sur un mouvement de 31,033 tonneaux passés au Tréport en 1846, il en est revenu 20,502 au port d’Eu. Cependant, soit que les habitans méritent encore le reproche de nonchalance que leur adressaient les commissaires du cardinal de Richelieu et de Colbert, soit que le nouveau bassin leur paraisse dépourvu d’abords convenables, le seul d’entre eux qui ait travaillé à mettre l’industrie locale au niveau des ressources de l’établissement maritime est un banni que de plus justes préoccupations auraient pu détourner de ce soin. En créant à Eu une scierie, un moulin à douze paires de meules et une fabrique de biscuits, il a marqué la voie où devraient s’engager ses voisins.

Les chutes de la Bresle ne sont pas le seul avantage naturel qui appelle l’industrie dans le pays. Les sondages faits en 1834 et en 1835 devant le Tréport, par les ingénieurs hydrographes de la marine, ont rencontré, sur une ligne de neuf milles parallèle à la côte et à des profondeurs de 12 mètres, un combustible végétal qu’on a pris pour de la tourbe[1]. Un affleurement sous-marin, correspondant à ceux qui se découvrent vers la baie de la Canche, ne présenterait pas d’autres indices, à cela près que ces derniers offrent, au lieu de tourbe, un lignite moderne des mieux caractérisés. Cette concordance, la parfaite analogie des terrains, des circonstances géologiques qu’il serait trop long de discuter ici, autorisent à penser que tous ces affleuremens appartiennent au même gisement, et que la prétendue tourbe sous-marine du Tréport est en réalité du lignite. Si cette conjecture est fondée, et la vérification en serait facile, la couche de lignite se prolonge infailliblement sous la côte, et serait atteinte à moins de 30 mètres de profondeur par des puits creusés entre Eu et la mer. Le lignite ne vaut pas la houille, mais il la remplace dans beaucoup d’usages, et le voisinage de mines si bien placées ne pourrait manquer d’imprimer à la navigation locale un essor rapide.

  1. « On rencontre sur beaucoup de points au fond de la mer, depuis le mont Joli-Bois jusqu’au-delà du Tréport, des masses d’une substance noirâtre qui paraît être de la tourbe ; les ancres y pénètrent, et il est difficile de les en retirer sans faire de grands efforts. » (Instructions nautiques. I. R., 1842.)