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sera bientôt question, est qualifiée Canal d’Artois faict il y a très long-temps. Ce nom fait remonter ce travail de 1444 à 1468, époque où la maison d’Artois possédait le comté d’Eu. La totalité de la plaine, dont la plus grande partie est aujourd’hui si bien cultivée, était alors submergée aux grandes marées.

Le banc de galets qui se fixe à l’entrée de chaque vallée s’est naturellement enraciné en amont du courant du littoral, et, à mesure qu’il s’allongeait, il repoussait l’embouchure de la Bresle vers la falaise opposée. Au temps de Guillaume-le-Conquérant (de 1027 à 1087), la passe par laquelle on pénétrait dans la baie était, comme à Cayeux, à Dieppe, à Fécamp, à l’extrémité et non pas à l’origine de l’épi ; mais en 1101, Henri, comte d’Eu, la fit fermer, reporta l’embouchure de la Bresle à la gauche de la vallée, et ramena l’établissement maritime de Mers au Tréport. L’emplacement ne pouvait pas en être indifférent à un comte d’Eu. A Mers, le port était presque à la discrétion de ses ennemis ; au Tréport, il était protégé par la vaste nappe d’eau qui couvrait alors la plaine et complétait, du côté de la mer, la défense de la ville d’Eu. Depuis, sans jamais abandonner le côté du Tréport, où la maintenait la direction donnée par le comte Henri au lit de la Bresle, la passe s’est plusieurs fois ouverte sur divers points du banc de galets. En 1639, le port avait deux entrées, l’une au Tréport même, et l’autre à moitié chemin de Mers ; la marée formait en arrière du banc intermédiaire un canal navigable[1]. Au milieu du dernier siècle, les envasemens opérés en arrière de la digue naturelle n’y laissaient plus pénétrer une quantité d’eau suffisante pour dégager le chenal, lorsqu’elle s’écoulait au jusant. Le port, tout-à-fait perdu pour le commerce, n’admettait plus que de petits bateaux de pêche. Ces maux trouvèrent un remède dans la munificence éclairée du duc de Penthièvre. Il fit étudier en 1778 le projet de l’écluse de chasse qui fonctionne encore aujourd’hui ; elle était terminée en 1780[2], et dès 1782, indépendamment du galet journellement amené par les vents du large, elle avait chassé du chenal, désormais fixé entre deux jetées, un amoncèlement de plus de 40,000 mètres cubes de galets. Cette écluse et la retenue à laquelle elle est annexée n’ont pas cessé d’être l’organe vital de l’établissement maritime, et leur destruction en entraînerait la ruine immédiate.

  1. Cartes des côtes de Normandie levées par ordre du cardinal de Richelieu. (B. N., manuscrit.)
  2. « Cette écluse a été construite à la demande et aux dépens de son altesse royale monseigneur le duc de Penthièvre. Ce prince, touché de la misère à laquelle la ruine du port du Tréport en avait réduit les habitans, consacra 170,000 livres pour l’exécution de ces ouvrages qu’il regardait avec raison comme le plus sûr moyen de rendre au port son ancien commerce et de procurer à la marine une augmentation de matelots. » (Lamblardie, Mémoire sur les côtes de la Haute-Normandie, 1789.)