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de leur engourdissement comme si elles étaient éternelles, ce n’est pas nous qui nous en plaindrons jamais ; seulement il ne faut pas que cet élan salutaire joue sur la société européenne à la façon d’un ressort trop comprimé qui brise tout en se détendant, jusqu’à ce que mort de peuple s’en suive ; il ne faut point que les passions nationales, cédant à l’entraînement d’un radicalisme insensé, se heurtent jusqu’à extinction. Il ne faut point que les Magyares disparaissent des pays slaves et les Slaves des pays magyares, que les Allemands qui ont fertilisé la Bohême, métamorphosé la Moravie, puissent être replacés sous un joug qu’ils ne peuvent plus eux-mêmes imposer à la race indigène ; que cette race enfin, sans cesse injuriée par les Allemands, soit à jamais déchue d’un rôle historique. Nous nous félicitons de la renaissance des nationalités, nous redoutons les conséquences fatales de leur exagération. La gloire du gouvernement régénéré qui saurait siéger à Vienne, ce serait de pacifier et de modérer tout ce qu’il y aurait là d’excessif, ce serait d’amener petit à petit la civilisation de l’Occident parmi ces populations à moitié. orientales, qui n’ont point encore proprement d’organisation politique, qui nous empruntent les mots de notre dictionnaire constitutionnel comme des cris de guerre plutôt que comme des devises bien senties. L’Autriche rajeunie ne semblerait-elle pas prédestinée à cette belle propagande ? La Hongrie et la Bohême ne repoussent que l’abus des prétentions germaniques ; elles restent fidèles à la maison impériale, et, jouissant maintenant de toutes les libertés modernes, grace aux événemens de mars, elles n’en gardent pas moins le vieux trône avec un attachement comparable à celui de la loyalty britannique Prague et Pesth supplient l’empereur de venir résider dans leur sein. Les vainqueurs du 15 mai auraient volontiers supprimé l’empereur, pour fondre tout-à-fait les archiduchés dans la grande pairie allemande. Où donc est la politique sérieuse et vraiment accommodée aux temps et aux lieux, du côté de ce vague patriotisme ou du côté des essentielles traditions de l’empire autrichien ?

Cette politique restera, par malheur, boiteuse et mal assise tant que la question polonaise et la question italienne n’auront pas été définitivement vidées. Le courage nous manque pour parler à présent de la Pologne et toucher à ces plaies encore saignantes d’hier. Puisse du moins la déplorable issue des conflits de Posen et de Cracovie montrer aux Polonais qu’ils ne sauraient combattre sans avoir eux-mêmes refermé leurs vieilles blessures, et à la France qu’elle ne les saurait aider sans le concours de l’Allemagne ! Si la république enfante un jour une diplomatie, ce sera le triomphe de la diplomatie républicaine d’obtenir ce concours difficile, c’est sen devoir de le réclamer sans relâche. Quant à l’Italie, la situation se dessine enfin plus nettement ; à mesure que la royauté piémontaise pagne dans l’opinion, l’armée autrichienne perd sur le terrain : les deux faits sont corrélatifs.

L’opinion républicaine en Italie se rattachait trop nécessairement aux réminiscences municipales pour ne pas avoir bientôt tous les torts de cet étroit patriotisme du moyen-âge, sans pouvoir en renouveler la vigueur et les ressources. Si les Lombards et les Vénitiens se fussent spontanément ralliés à la monarchie piémontaise, le Piémont aurait compté soixante mille hommes de plus, levés régulièrement et disciplinés en soldats ; la sécurité intérieure