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d’envahissement comme un remède à l’esprit d’isolement. L’Europe ne se figure pas encore tout ce qui s’est amassé de songes grandioses dans l’imagination de l’Allemagne pendant la longue inertie où sa force végétait ; mais peut-être saura-t-on bientôt ce que c’est qu’une humeur conquérante si long-temps à la fois entretenue et contenue : on en peut juger au premier coup qu’a reçu le Danemark. L’Allemagne veut être puissance maritime ; cette passion persévérante est la meilleure raison de l’amour qu’elle porte à ses frères du Holstein, et des prétentions iniques qu’elle élève aujourd’hui sur le Schleswig, soit dans ses protocoles, soit avec ses armes. Toute contrée où l’on a parlé l’allemand doit faire retour à l’Allemagne ; l’Allemagne a droit sur chaque contrée nouvelle où des Allemands fondent un comptoir et creusent un sillon : telle est la politique extérieure que l’on professe solennellement à Francfort, comme on la professait auparavant dans les chaires académiques ; telle est la loi qu’on applique au Danemark. On intervient en Holstein, parce qu’il est partie intégrante de la confédération, et le projet des dix-sept revendique maintenant le Schleswig, pendant que les Prussiens l’occupent, sous prétexte qu’il est annexe inséparable du Holstein. Or, sur les 330,000 habitans du Schleswig, il y a 180,000 Danois, 23,000 Frisons, et seulement 120,000 Allemands. Le ministre de Danemark a protesté dernièrement auprès de la diète contre toute adjonction du Schleswig au corps impérial. Il n’y aurait pas, en effet, de raison pour que l’Allemagne, qui est déjà entrée dans le Jutland, ne s’y assît tout-à-fait sous ce même prétexte que le Jutland tient lui-même au Schleswig, et le Danemark, réduit à ses îles, disparaîtrait bientôt du nombre des états. Qu’importe à la confédération, pourvu qu’elle ait le libre accès des deux mers ? Une flotte allemande, c’est là le cri du jour, le cri qui grossit sans cesse à mesure que la marine danoise gêne davantage l’embouchure des fleuves du Nord. On propose de vastes souscriptions nationales qui devront être recueillies obole par obole (Sechserversammlung). Les universitaires de Kiel, sentinelles avancées du germanisme, forment des clubs spéciaux pour agiter la question. Les dames elles-mêmes publient des adresses où elles promettent le dévouement de leur sexe et sacrifient sentimentalement leurs bijoux les plus chers pour la plus grande gloire du futur pavillon.

La Prusse est le grand agent de ces ambitions germaniques ; on la trouve toujours prête pour en exécuter ou pour en perpétuer les œuvres. La vigueur avec laquelle on l’a vu soutenir l’insurrection du Holstein et réprimer en même temps celle de Posen est, il faut bien le dire, la meilleure recommandation qu’elle ait à présent aux yeux des patriotes allemands, car elle a d’ailleurs perdu l’initiative du mouvement politique, qui appartient désormais à l’Allemagne entière. Tous les cœurs, tous les regards étaient tendus vers la diète féodale qui s’ouvrait, il n’y a qu’un an, dans la salle blanche : un vrai parlement moderne, constitué sur les bases les plus libérales, s’est assemblé le 22 mai ; le roi prononce un vrai discours de la couronne ; M. Camphausen et M. Hansemann siègent au banc des ministres, à la place du comte d’Arnim, qui avait lui-même remplacé M. de Bodelschwing : — cette merveilleuse métamorphose détourne à peine l’attention publique, concentrée sur les merveilles de Francfort, Berlin est, pour l’instant, détrôné. La révolution ne s’y fait plus,