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impôt des villages au chef-lieu de district, et de là au trésor central. La justice est la même pour tous ; il n’y a point de tribunaux exceptionnels. En un mot, tous les paysans sont propriétaires, libres civilement et politiquement, et l’on pourrait ajouter que, grace à la simplicité des intérêts et des mœurs, tous les propriétaires sont paysans.

Tel est le caractère de la loi démocratique qui a succédé au système funeste des spahis ottomans. L’égalité ne trône pas seulement dans les codes, elle a passé aussi dans les faits ; elle est descendue des institutions dans les cœurs, ou plutôt elle est née d’un élan naturel et spontané de ces ames si droites, d’où elle s’est répandue dans tout l’organisme social. On dirait une ombre de notre société moderne, une ombre plus parfaite que la réalité, une société idéale de paysans propriétaires qui cultivent de leurs libres mains un sol libre et n’ont point d’aristocratie au-dessus d’eux ni de domesticité au-dessous. Aussi la Serbie est-elle l’oasis de la Turquie d’Europe, la terre promise que saluent en rêve les paysans de la Bulgarie et vers laquelle marchent à tâtons, mais instinctivement, les Bosniaques. Musulmans et chrétiens, Osmanlis, Illyriens, se rencontrent dans le même sentiment. La démocratie des Serbes est en effet celle qui convient à ces peuples non encore arrachés véritablement à l’état de nature, et c’est de plus la législation qui dérive, par une conséquence logique, des anciens principes arabes vers lesquels les Osmanlis sont obligés de remonter, s’ils veulent retrouver le sens vrai de leur civilisation. Certes, cet esprit-là ne peut point avoir aujourd’hui de prise sur la société moldo-valaque, qui, par un commerce assidu d’intelligence avec les pays occidentaux et par la richesse de son aristocratie, est portée à désirer des lois plus savantes et ne peut plus être ramenée à l’égalité absolue de fortune ; mais, s’il est vrai que les législateurs éclairés de la Moldo-Valachie prennent et doivent prendre leurs inspirations chez nous, il est constant aussi qu’aucune des provinces slaves ne peut et ne doit ambitionner plus que ce qui existe avec tant de succès dans la principauté serbe. Le gouvernement turc pourra donc puiser, s’il le veut, dans ses propres traditions, renouées par Sélim et Mahmoud, les idées fondamentales qui doivent le guider dans ses réformes sociales, et le seul développement des principes primitifs des Arabes lui suffira pour satisfaire à tous les griefs sociaux des paysans slaves de l’empire. En même temps les Moldo-Valaques, habiles raisonneurs, pourront, à la faveur de leurs libertés constitutionnelles, élaborer la réforme qui convient le mieux à leur condition et à leur génie politique, et, pour contenter leurs voeux, le sultan n’aura qu’à seconder leurs efforts.