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donne, à moins de se renouveler par la possession de fonctions nouvelles qui naturellement lui sont d’un facile accès. Au-dessous de cette échelle à trois degrés, qui forme la boyarie, se trouve la classe assez nombreuse des descendans de boyards que les vicissitudes du mouvement social ont relégués en dehors des fonctions publiques et fait retomber ainsi dans une condition intermédiaire entre celle de la boyarie et celle des paysans corvéables. — Les boyards des trois degrés ont tous les privilèges de la propriété, égaux pour chacun, avec les privilèges inégaux du droit d’élection et d’éligibilité pour le parlement et l’hospodarat. Ils sont exempts de l’impôt direct et du service militaire. — Les fils déshérités de cette boyarie, petits propriétaires ou fermiers libres, sont tenus envers l’état à peu près aux mêmes charges que les paysans nés de paysans. — Les paysans moldo-valaques enfin, dont l’affranchissement a commencé vers le milieu du XVIIIe siècle, ne sont plus liés servilement à la glèbe : ils ont des droits civils et certains droits municipaux dans le sein de leurs villages ; mais, en vertu de la législation violemment imposée au pays par les Russes, en 1834, sans le concours des Turcs et sans l’assentiment réel de la nation, toute cette classe reste privée du droit de propriété libre. Les paysans sont fermiers à perpétuité d’une petite portion de la terre seigneuriale, et cultivent l’autre à titre de corvées ; l’une doit suffire à leurs besoins si modestes, l’autre enrichir le boyard et le mettre en mesure de rivaliser avec la Russie méridionale pour subvenir quelquefois aux vastes nécessités de l’Occident affamé. Le paysan fait mieux que d’alimenter l’oisiveté de la boyarie, il supporte à peu près toutes les charges de l’étal ; il paie l’impôt direct et sert dans l’armée nationale. Quel appui trouve-t-il par compensation dans le pouvoir public ? Aucun, sinon d’être jugé par les tribunaux, au lieu de l’être, comme en Autriche, par une juridiction domaniale. Encore faut-il ajouter que ces tribunaux se composent naturellement de boyards qui ne sauraient se dépouiller de l’esprit de caste, et qui ne sont pas toujours inaccessibles à la corruption. Telle est la société roumaine en Moldo-Valachie, riche, élégante et polie au sommet, mais misérable et souffrante à la base, assez éclairée pourtant et assez active déjà pour marcher de loin sur les traces des peuples de l’Occident et par les mêmes chemins.

Si nous franchissons le Danube, nous sommes chez les Illyriens, sous l’empire de la civilisation turco-slave. Nous avons devant nous la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie, avec leurs coutumes et leurs lois distinctes, quoique la nationalité soit la même. La Bosnie est la plus attardée de ces trois provinces dans les voies du progrès ; la Serbie marche en tête, et la Bulgarie la suit à pas lents.

En Bosnie, après l’extermination des begs qui avaient établi l’uniformité du servage, la démocratie essaya de se reconstituer ; mais l’état