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de la civilisation musulmane ni les intérêts des populations chrétiennes.


I – LA LEGISLATION.

Le système social que les Osmanlis victorieux apportèrent en Europe n’était point, pour les populations vaincues par le cimeterre, aussi oppressif que l’opinion générale le prétend sur la foi des chroniques chrétiennes. Les Turcs, à l’opposé des races germaniques, normandes et hunniques, ne songeaient point à s’établir violemment sur le sol, à le partager entre eux, à attacher à la glèbe les cultivateurs devenus, comme le sol, une propriété du conquérant. Deux idées principales réglaient toute leur conduite : ou ils octroyaient aux peuples qui consentaient à se reconnaître pour vassaux des capitulations destinées à garantir les libertés et les institutions politiques du pays au prix d’un tribut collectif ; ou ils introduisaient dans ce pays, par insinuation plus que par force, leurs lois et leurs usages, en laissant d’ailleurs à ceux qui restaient chrétiens le droit de s’administrer librement au prix d’un impôt individuel et personnel, en compensation du service militaire non exigé des chrétiens. Enfin, si, dans plusieurs provinces et à la longue, les Turcs fondaient sous le nom de ziamets de grands fiefs et sous celui de timars des fiefs moins étendus en faveur des spahis musulmans, cette fondation n’entraînait point la servitude des cultivateurs ; elle ne les dépossédait point, elle ne les dépouillait point de leur droit de propriété viagère ou héréditaire ; elle ne les obligeait envers le tenancier du fief qu’au paiement de la dîme des produits. C’était une sorte d’impôt qui n’allait point directement jusqu’au trésor public, mais qui entraînait pour les spahis des charges militaires fort grandes en ces temps de guerre permanente, sans leur donner sur leurs paysans d’autre droit que celui de percevoir des dîmes. Cette institution, qui à l’origine n’était oppressive que par la différence de race et de religion entre le spahi et le paysan, est le seul élément d’aristocratie que la conquête ait introduit d’abord dans les lois sociales des Ottomans. Les conquérans vivaient d’ailleurs entre eux dans l’état de démocratie patriarcale, sous l’empire de la législation traditionnelle qu’ils avaient reçue des Arabes avec la parole du prophète.

Par quelle fâcheuse révolution ces principes de liberté municipale, d’égalité civile, de respect pour les droits établis et les coutumes locales, vinrent-ils aboutir à un système d’anarchie violente, d’aristocratie et d’absolutisme ? Le contact de l’empire grec avait suffi pour tout corrompre. Au moment où les guerriers de la race d’Osman prenaient possession de cette partie de l’Europe, les peuples dominés par les lois et par la civilisation byzantine gémissaient dans une inexprimable