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la cellule produit la folie, et l’on peut dire que l’opposition à la réforme s’est réfugiée tout entière aujourd’hui dans cet argument sans valeur, que rien n’explique, que rien n’autorise, que la science réfute, que l’expérience repousse absolument. Consultons d’abord la statistique ; elle nous apprend une chose consolante pour l’humanité : c’est que les aliénations mentales sont infiniment plus communes dans les prisons que dans la vie libre, d’où l’on peut conclure non pas, comme on l’a fait, que tous les criminels sont des fous, mais que des dérangemens d’esprit sont cause de beaucoup de fautes. Bien que la folie, ainsi qu’on l’a observé, ne puisse pas se recenser aussi exactement que les portes et fenêtres, on a calculé que les aliénations mentales, qui sont, dans la vie libre, de 2 sur 1,000, sont, dans les maisons centrales, de 13 sur 1,000 pour les hommes, de 36 sur 1,000 pour les femmes. Il ne faut donc pas juger la population des prisons sur des données ordinaires, sous peine de tomber dans une grave erreur.

Si l’on admet cette base, si, comme le bon sens l’ordonne, on observe les détenus comme détenus, sans les comparer à la population honnête et libre dont la condition est différente, il est constaté partout que les aliénations mentales sont moins fréquentes dans les pénitenciers cellulaires que dans les prisons en commun. Comment pourrait-il en être autrement ? Est-ce qu’on ne laisse pas au détenu encellulé une beaucoup plus grande liberté d’esprit ? Est-ce qu’un homme qui travaille paisiblement dans sa chambre, causant à ses heures, n’a pas son libre arbitre moral et la pleine jouissance de ses facultés mentales ? Et ne devinez-vous pas, au contraire, que c’est une contrainte cruelle, contre nature, que celle que l’on inflige au détenu dans les maisons centrales en le condamnant au silence après l’avoir réuni à ses camarades ? A quelle tentation plus vive un homme peut-il être soumis ? Cette tentation, vous la présentez sans cesse au détenu, et, s’il succombe, vous le punissez ; n’est-ce pas là le supplice de Tantale ? Croyez-vous que cette contrainte continuelle soit sans effet sur le cerveau ? Au reste, nous pouvons raisonner autrement que sur des hypothèses, les faits ne manquent pas à l’observation.

A Genève, les deux systèmes sont en présence. On sait que les aliénations mentales ne sont nulle part aussi communes que dans certains cantons de la Suisse ; voici ce que dit le chapelain des deux établissemens : « Dans le pénitencier d’après le système d’Auburn (emprisonnement en commun pendant le jour), les punitions sont si continuelles, qu’elles pèsent lourdement sur l’administration ; dans celui qui admet la séparation individuelle, elles sont fort rares.

« Dans le premier, l’irritabilité causée par la gêne du silence, par la fréquence des punitions, produit la folie ; dans le second, le calme de la cellule est l’élément où respirent à l’aise les natures inquiètes, et non-