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sierra de San-Martin depuis Tuxtla jusqu’à l’embouchure du Goazacoalco, dépouillées, subitement de leur voile de brume, montrèrent les dentelures azurées de leurs cimes sur le fond du ciel, redevenu d’un bleu vif.

— Malheur aux navires qui vont se trouver dans le golfe ! me dit Calros, car le nord s’avance sur eux l’épée à la main[1], et la nuit prochaine sera dure ; nous en saurons sans doute quelque chose ce soir à Boca-del-Rio.

Je ne répondis rien d’abord : tout entier à la contemplation de la mer, je me sentais partagé, à la veille de dire adieu au Mexique et de partir pour la France, entre les sensations les plus contraires. À la joie de ce retour, depuis si long-temps désiré, se mêlait je ne sais quelle vague et douce tristesse. Le pays que j’allais quitter avait si largement satisfait ma soif d’aventures, que je m’en voulais de mon empressement à chercher ailleurs une existence plus calme. La réflexion de Calros me rappela que je n’étais pas entièrement quitte avec cette vie de hasards dont je me croyais trop aisément délivré. Quand, après quelques momens de silence, j’avouai, un peu confus, au Jarocho mon désir de m’embarquer sur le premier navire américain en partance, Calros m’objecta d’un ton chagrin d’abord la promesse que je lui avais faite de le suivre dans son excursion à Boca-del-Rio, puis l’état menaçant de la mer. — D’ici à quatre jours, aucun navire ne pourra lever l’ancre, ajouta-t-il, et ce dernier argument était péremptoire. Je transigeai donc avec Calros. Sur ces quatre jours d’attente forcée, il fut convenu que j’en passerais un avec lui à Boca-del-Rio pour l’aider dans ses recherches. Boca-del-Rio n’est qu’à quatre lieues de Vera-Cruz. Calros ne devait faire que traverser la ville pour se rendre directement à ce village. Quant à moi, je devais m’arrêter à Vera-Cruz et y régler mon départ ; après quoi, le soir même, j’irais rejoindre Calros à Boca-del-Rio.

Peu d’instans après, nous entrions dans Vera-Cruz. Sur la plage sablonneuse et brûlante qui entoure la ville, des muletiers avaient dressé leurs tentes, impatiens de fuir la côte mortelle qui dévore à chaque voyage quelques-uns de ces malheureux. Plus loin, des portefaix nègres, acclimatés sous ce ciel dévorant, se battaient et se culbutaient sur le sable, sans égard pour leur fine chemise de batiste brodée. Je souris involontairement, en comparant ces commissionnaires fastueusement vêtus à nos modestes portefaix auvergnats, et, après avoir renouvelé à Calros la promesse de le rejoindre bientôt, je me dirigeai vers la maison

  1. Con espada, en mano, c’est un terme local qui désigne énergiquement la furie du vent du nord-ouest. Ce vent dure d’habitude cinquante heures quand il est fort. Plus faible, il souffle quelquefois pendant cinq ou six jours.