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soit toujours bon capitaine, et de plus orateur, homme d’état, législateur, économiste. Peut-être l’esprit perd-il en fermeté ce qu’il acquiert en étendue ; l’empire se gagne ou se maintient à d’autres conditions que les couronnes académiques. D’ailleurs, chez un peuple guerrier qui se souvient encore du temps où ses ancêtres tenaient leurs diètes souveraines à cheval dans les plaines de Rakos, les exercices du corps sont restés dans un singulier honneur, et le jeune palatin n’est pas, sur ce point, en arrière de ses compagnons. Après avoir été regardés, par nos pères comme le complément nécessaire de l’éducation d’un honnête homme, les exercices de l’académie ont à peu près disparu de l’éducation ; on est arrivé à ce point, qu’on y a plutôt attaché un préjugé défavorable. Si l’on rencontre encore quelque hardi chasseur, quelque cavalier intrépide, on suppose aussitôt que ces talens ont coûté quelque chose à son esprit. En Hongrie, on développe le corps dans une harmonie parfaite avec les progrès de l’esprit. Ce n’est pas seulement des qualités de celui-ci qu’on tire honneur ou vanité : Vesselény, le grand agitateur de la Hongrie, devait sa réputation populaire autant à sa force prodigieuse qu’à son éloquence. Un jour qu’il se trouvait embarrassé par les argumens de son adversaire, monté sur une table d’auberge, il enleva la table d’un bras nerveux et fit disparaître ainsi l’orateur et sa tribune, aux applaudissemens de l’assemblée. L’illustre Szécheny était réputé pour le premier nageur de la Hongrie ; quand il devait traverser devant Pesth le Danube large et rapide, il n’y avait pas moins de spectateurs sur les quais que lorsqu’il prononçait à la tribune ces discours qui ont amené le mouvement révolutionnaire de la Hongrie. Après tout, ainsi faisaient les Grecs et les Romains, qui n’en parlaient pas plus mal.

Tous les exercices qui, en donnant au corps la force, la souplesse, l’adresse, l’aident à servir l’énergie du caractère, à obéir rapidement aux inspirations du courage, entrèrent dans l’éducation du jeune palatin. A l’âge où l’on met à peine nos enfans sur un cheval de bois, le jeune prince, monté sur un petit jougre, race de chevaux vifs et agiles particulière au pays, suivait au galop les grandes chasses de son père. Le cheval et les passes brillantes du cavalier sont encore la passion favorite des Hongrois. Il semble, à l’aisance naturelle qu’ils y apportent, qu’ils sont nés à cheval. Avant quinze ans, ils vont choisir et dompter, dans les vastes pustaz[1], le cheval qui les a tentés. Dès ce moment, ils sont cinq à six heures par jour à cheval, à la chasse, au manège, en voyage. L’Europe, en appelant du nom hongrois de huzar (homme de cheval) ses cavaliers les plus brillans et les plus braves, a reconnu l’incontestable supériorité des Hongrois. Armés du sabre recourbé, l’arme

  1. On appelle ainsi les pâturages entre le Danube et la Theiss, où paissent de nombreux troupeaux de chevaux et de boeufs.