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dont on pourrait citer plus d’un exemple ; en charger des artistes qui ont fait leur éducation ailleurs, n’est-ce pas reconnaître la lacune que je viens de signaler ?

Au reste, je ne sache pas que les critiques ou les plaintes s’élèvent contre l’enseignement de l’École des Beaux-Arts. Elles portent principalement sur les concours et surtout sur leurs jugemens. Dans tout concours, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, et il n’est pas étonnant qu’on accuse des juges obligés de se montrer sévères. On ne les taxe pas d’injustice ni même de partialité ; mais ils ont, à ce qu’on dit, des tendances trop exclusives. Ils attacheraient trop d’importance à l’observation de certaines traditions, j’ai presque dit de certaines pratiques matérielles. Cependant les professeurs sont nombreux ; chacun a sa méthode, et, au premier abord, on serait tenté de croire qu’il doit en résulter plutôt l’absence d’unité dans la direction de l’enseignement. Or, on se plaint au contraire, et les concours annuels prouvent que ce n’est pas tout-à-fait sans motif, on se plaint d’un certain éclectisme imposé, qui détruit chez les jeunes gens l’originalité et les allures franches et natives. Les concurrens, obligés de plaire à leurs juges, ne croient pouvoir mieux faire que de les imiter. C’est imiter la nature qu’il faudrait ; mais le moyen de prévenir cette tendance assurément regrettable ? N’est-ce pas un vice inhérent à toute école et impossible à éviter ? Nulle école n’existe que par l’esprit de corps, et, s’il en était autrement, ce serait, je crois, un mal. Il est bien difficile qu’un professeur sentant l’art, et surtout le pratiquant d’une certaine manière, conserve l’impartialité et la liberté de jugement, qu’un simple amateur ne garde qu’avec beaucoup de peine. A un homme amoureux d’une blonde n’allez pas demander ce qu’il pense des brunes. Je ne doute pas que Raphaël n’eût jugé sévèrement les ouvrages de Rubens, et Rubens, en copiant Léonard de Vinci, a montré qu’il trouvait fort à redire à la Cène.

On aura donc toujours beau jeu à attaquer les jugemens d’un artiste dont la méthode est faite, et surtout les jugemens d’une compagnie d’artistes qui, par l’habitude de vivre ensemble et par la conformité de leurs goûts, se font chaque jour des convictions plus profondes. A mon avis, on s’exagère le mal. Je n’ai jamais entendu parler d’injustices criantes, et ordinairement le public a trouvé les arrêts de l’Institut plus indulgens que sévères ; mais, à mon avis, ce n’est pas dans les jugemens des grands prix que l’influence d’école s’exerce d’une manière fâcheuse. Ce serait plutôt dans les épreuves préparatoires qu’il serait à propos de la conjurer. Je veux parler des concours d’esquisses, de figures peintes ou modelées. Là peut-être les jugemens, ayant moins d’importance, seraient rendus avec moins de réflexion. Déjà la section d’architecture, sans doute pour ôter tout prétexte à la critique, a cru devoir s’adjoindre un jury spécial choisi en dehors de l’Institut. Cet