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semences d’avenir ; on y reconnaîtra que les manans de la Gaule centrale ne méritent nullement le mépris de l’histoire.

Quant à la ville, c’étaient une laideur, une tristesse, une contagion et un désordre d’enfer. De larges fossés et des remparts mal tenus servaient de clôture à un amas infect de chaumines et de cases irrégulières. Devant chaque maison de bois, un auvent qui surplombait formait à six pieds du sol une toiture couverte de mousse ; entre les maisons, un intervalle de sept ou huit pouces s’obstruait de fange, de débris, d’immondices, et répandait au loin la peste ; à une perche accrochée par-dessus l’auvent ou obliquement fichée en terre pendillait une lanterne de corne au sein de laquelle pleurait lentement une chandelle sans clarté. Vingt ruelles serpentaient et se croisaient autour de la cathédrale ; ces ruelles étaient la ville, ou plutôt la ville se concentrait sous l’ombre gigantesque de l’église, ombre dans laquelle disparaissaient auvens, boutiques et maisons. Aujourd’hui même, quiconque traverse les plaines de la Beauce n’aperçoit au loin que deux aiguilles colossales et inégales, avec leurs écailles d’ardoise et leurs fleurs de pierre écrasant un labyrinthe de pignons et de toits surbaissés. Les pourceaux trottaient par bataillons autour de l’église et sous les auvens des bourgeois, le groin dans la boue, encombrant les passages. Souvent quelque bohême ou ribaud, dans la main duquel le « bâton à feu » ou la « dague courte » étincelaient, se tenait caché derrière un pan de mur ou plongé dans l’ombre de ces saints de pierre groupés sous le portique latéral de l’église. Au moment où commencent les notes historiques que nous allons compulser, vers le milieu du règne de Charles VII, les soins de police municipale, confiés à douze roturiers ou échevins de la ville, se bornent à sonneries cloches, corner les heures à son de trompe, faire le guet sur les remparts et garnir de lumières les portes de la ville de peur des Anglais ; Chartres, comme toutes les villes du centre, était nationale et patriote.

L’Anglais, tout battu qu’il soit et mis à la raison par Jeanne d’Arc, ne s’avisera-t-il point de repasser la Somme ? Il faut y prendre garde. Brûlez des javelles sur les murailles, suspendez les lanternes aux ponts-levis, fortifiez la ville ; que tous les « jardins, murs ou héritages » qui ont usurpé durant la paix quelques pouces de terrain sur celui des fortifications et des fossés, soient reconquis sur les usurpateurs. On emploie pour reprendre le bien de la ville des moyens assez naïfs, par exemple :

(1437.) « Il fut ordonné que les procureurs de la ville iraient vers les maîtres des écoles leur dire que le mardi suivant ils eussent à faire aller tous leurs enfans jouer sur une pièce de terre, assise hors de la ville, devant la tour de Courtepinte, où étaient les Buttes-aux-Archers, laquelle Jean Godart avait labourée comme disant à lui appartenir au préjudice de la ville. Les enfans des écoles allèrent, en effet, jouer sur cette pièce le jeudi 6 mars, et on leur donna à cette