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l’abîme, ses lèvres entr’ouvertes laisseraient échapper un cri : Phaon ! Enfin tout ferait comprendre que le mal qui la dévore est sans soulagement, qu’il faut mourir on guérir. Le buste de la Villanella de M. Dieboldt a plus de charme que sa statue. C’est un morceau d’un caractère sévère, mais en même temps vivant et naïf. Le cou est lourd, la chevelure négligée ; en général M. Dieboldt ne finit pas assez.

MM. Daumas et Maindron n’en sont pas, eux, à leurs débuts ; ce sont deux sculpteurs d’un talent énergique, un peu inculte, et qui a de l’avenir. M. Damnas est supérieur à M. Maindron ; il a plus de vigueur dans le style, plus de souplesse et plus de science : il est plus complet. Son modèle de grandeur colossale de la Victorina est un des morceaux les plus remarquables de l’exposition. « La Victorina, nous dit M. Daumas, appartenait à. une famille puissante de la Gaule. Elle jouissait d’une haute influence, et les historiens racontent qu’elle avait fait élire plusieurs empereurs. Sa présence dans les camps, des largesses faites à propos, et plus encore le respect inspiré par son dévouement, la firent surnommer la Mère des camps. À ces causes originelles de son influence, Victorina joignait l’autorité d’une ame ferme et virile, d’un esprit étendu. » M. Daumas a représenté l’héroïne gauloise telle qu’elle dut être en présence de l’armée. La Victorina indique sa puissance par les couronnes impériales qu’elle tient dans sa main. Ce morceau est exécuté avec une rare fermeté. L’attitude, qui rappelle celle du Scipion, est pleine de noblesse et d’énergie ; le mouvement du corps est excellent, et le jet tout-à-fait magistral. Par le jet, nous entendons cet enchaînement de toutes les parties, cet art de les rattacher à cette ligne centrale qui serpente de la tête aux pieds. Le jet, c’est le sentiment, c’est la vie, c’est l’expression de la sympathie réciproque des membres entre eux. Le jet, c’est ce qui distingue l’artiste de l’ouvrier. Plus le jet est puissant et naturel, plus la soumission des détails et des accessoires à une loi générale est complète, plus l’œuvre gagne en excellence et en originalité. L’étude et la science peuvent faire un homme de talent. L’étude suppose la volonté, la science indique la volonté persévérante, et ce sont choses qui s’acquièrent ; mais le jet ne s’acquiert pas, et sans le jet on n’est pas homme de génie. Le jet est une des qualités les plus incontestables du talent de M. Daumas ; il imprime à toute sa figure, et même aux draperies largement plissées et qui se déploient sans raideur, un mouvement plein de majesté. Ces draperies sont peut-être un peu abondantes ; cependant, comme la Victorina était une matrone d’un âge respectable, nous excuserons M. Daumas de l’avoir si scrupuleusement enveloppée. La physionomie anguleuse et inflexible de la Gauloise a quelque chose des Parques de Michel-Ange.

Il y a moins de simplicité et plus d’hésitation chez M. Maindron. Il faut cependant lui savoir gré des efforts qu’il a tentés pour exprimer