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de sensations. La Rêverie de M. Jouffroy n’est peut-être pas la rêverie. C’est une étude de femme nue d’une exécution savante, et c’est le cas de rappeler ce mot de Diderot à Caffieri : « Vous n’avez pas fait ce que vous vouliez faire ; mais n’importe ! ce que vous avez fait est précieux ! »

Les mêmes observations peuvent s’appliquer à l’Haïdée de M. Husson. « Si jeune et si belle, Haïdée était d’une adorable ignorance ; comme une jeune colombe, elle volait vers son jeune ami. » La statue de M. Husson semble une traduction très libre des vers de lord Byron. Haïdée est jeune, elle est belle ; mais est-il rien chez elle qui indique une adorable ignorance ? et comment cela peut-il se traduire en statuaire sans tomber dans l’afféterie ou la niaiserie ? La cambrure des reins, la souplesse de la taille et la délicatesse des extrémités inférieures expriment plus heureusement l’idée de légèreté, bien que la jeune fille soit au repos.

Même quand l’oiseau marche, on sent qu’il a des ailes.

M. Clesinger nous a donné cette année une sorte de répétition de sa figure de Femme couchée, qui avait obtenu un si grand succès au Salon de l’an dernier. Cette fois c’est une Bacchante qu’il a représentée. Une magnifique femme nue, dont le visage et l’attitude respirent l’ivresse et la volupté, se roule sur un monceau de grappes qu’elle écrase avec le dos. Cette figure semble animée du souffle de la vie ; l’art a rarement atteint à une réalité si saisissante, et cela sans rien sacrifier d’un certain idéal sans lequel l’art n’existe pas. Le marbre est élastique et palpite comme la chair. Les belles épaules ! l’admirable poitrine ! comme ce sein détaché à la Michel-Ange est riche et puissant ! comme ces chairs sont à la fois mobiles et résistantes ! On voit la vie onduler sous cette peau souple et vivante. Tout ce buste offre la plus merveilleuse imitation de la nature, et cependant ce n’est pas la copie littérale du modèle ; c’est la nature choisie, idéalisée, la nature prise sur le fait avec tout son charme, toute sa vérité, avec ces détails précieux et sans nombre, cette simplicité de mouvement, cette largeur de modelé, cette parfaite connaissance du dessous de la peau, cette puissance de jet, qui n’appartiennent qu’à certaines natures heureusement douées.

M. Clesinger est assurément un artiste entreprenant, qui ne recule devant aucun obstacle, qui ne reconnaît aucune impossibilité. Représenter une belle femme ivre à la fois de vin et d’amour, c’était un thème dont les difficultés eussent pu déjà arrêter un esprit moins intrépide ; mais la jeter sur un lit de raisins qu’elle foule énergiquement avec ses épaules et ses reins, et dans lequel l’arrière de sa tête est comme enseveli, c’était une entreprise pleine d’audace et dont M. Clesinger s’est très habilement tiré. Rien de ridicule, rien de vulgaire, rien de repoussant dans la manière dont il a conçu son sujet. C’est la strophe