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Ces considérations nous engageraient à applaudir plutôt aux essais tentés dans le sens de MM. Pradier et Clesinger, qui cherchent le nouveau, cette sorte de vrai idéal moderne dont nous parlions tout à l’heure, qu’à la persévérance classique de MM. Lescorné, Husson et Jouffroy, qui sont encore en quête de ce beau antique par excellence, qu’aucun artiste contemporain n’a pu rencontrer, et, il faut le dire, à côté duquel les grands artistes modernes se sont tous développés ; car ils n’eussent pas été grands, s’ils n’eussent été nouveaux.

La Nyssia de M. Pradier n’est autre que la femme du roi Candaule, dont, à commencer par Hérodote, l’histoire nous a été si souvent contée, mais jamais plus ingénieusement que par M. Théophile Gautier. C’est du récit de ce dernier que M. Pradier s’est inspiré. « Il faut que tu contemples Nyssia dans l’éclat radieux de sa blancheur étincelante, sans ombre importune, sans draperie jalouse, telle que la nature l’a modelée de ses mains dans un moment d’inspiration qui ne reviendra plus. Ce soir, je te cacherai dans un coin de l’appartement nuptial… Tu la verras ! » La statue de M. Pradier est la traduction, la mise en scène de ces paroles que le bon roi adresse à son favori. Nyssia est absolument nue, et, comme ses bras sont relevés par-dessus la tête pour rattacher sa longue chevelure, nul obstacle ne vient s’interposer entre ses charmes offerts sans voile à l’œil du spectateur. Il est fâcheux que ses formes n’aient pas toute la perfection que l’enthousiasme imprudent du roi Candaule devait faire supposer. La Nyssia de M. Pradier a la taille svelte et légère, la mine coquette et éveillée, et l’œil lutin de nos filles de l’Occident. L’artiste a négligé de donner à ses membres les contours arrondis et le riche embonpoint, à ses traits la parfaite régularité, à son œil la forme amygdaloïde ce relevée de l’angle externe, en un mot tous les attributs caractéristiques de la beauté orientale. Nous soupçonnerions volontiers M. Pradier de n’avoir baptisé sa Nyssia, que long-temps après sa naissance et au moment de la lancer dans le monde. M. Pradier aura rencontré un gracieux modèle d’après lequel il aura façonné un beau bloc de marbre pentélique avec l’admirable facilité et le talent qui le distinguent ; puis, une fois le bloc métamorphosé en femme, il lui aura dit : Tu seras Nyssia. Nous doutons, du reste, que la Nyssia de M. Pradier soit sa fille de prédilection. Quelques négligences dans le torse, surtout dans la partie antérieure, trahissent un trop prompt abandon de la part du père. Le sein est pauvre et peu séduisant, comparé surtout aux admirables formes de la Bacchante de M. Clesinger. La triple ligne que présentent les muscles de l’abdomen tiraillés par les bras relevés sur la tête est d’un effet qui peut être naturel, mais aussi fort déplaisant. Quant à l’abondante chevelure de Nyssia, qui tombe en arrière de ses épaules

Plus longue qu’un manteau de roi,