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pays de provenance, le Chili et le Pérou, qui autrefois se contentaient d’extraire le minerai de cuivre et de l’expédier en Angleterre, entreprennent aujourd’hui de le fondre eux-mêmes, malgré le désavantage frappant de leur situation. C’est grace à cette circonstance que la France a pu tirer de ces deux pays, en 1846, environ 1,100,000 kil. de cuivre de première fusion ; ce qui est encore bien peu de chose, toutefois, eu égard à ses besoins, puisque son importation totale s’est élevée, dans la même année, à environ 8,000,000 kil. Si les choses étaient demeurées dans leur ancien état, malgré les droits différentiels, c’est de l’Europe seule, et particulièrement de l’Angleterre, que nous aurions reçu la presque totalité de notre approvisionnement en cuivre. Et combien n’en a-t-il pas coûté au trésor, même dans l’état présent des choses, pour que la marine allât chercher au loin cette faible quantité qui nous était offerte à de bien meilleures conditions si près de nous[1] !

Si l’Angleterre devait persévérer, contre ses intérêts manifestes, dans la politique illibérale qu’elle a adoptée en 1842, et achever de ruiner chez elle l’industrie de la fonte du ruinerai de cuivre, nul doute que la France ne pût aspirer à en recueillir les débris. Elle est pour cela aussi avantageusement située qu’aucun autre pays de l’Europe ; mais il faudrait au moins qu’elle reçût en franchise, en même temps que le minerai de cuivre, le combustible nécessaire pour le mettre en œuvre. Il semble que les auteurs de la loi actuelle, qui date de 1836, se soient proposé un résultat semblable, en permettant que le minerai de cuivre fût importé de tous pays au faible droit de 10 centimes par quintal métrique, et en supprimant dans ce cas, par une exception assez rare, la surtaxe sur les navires étrangers. Malheureusement ils n’ont su faire les choses qu’à demi, car, en adoptant un régime assez libéral par rapport à la matière première, ils ont maintenu des droits excessifs sur le combustible, dont notre littoral est dépourvu. Dès-lors, l’industrie des

  1. Ces 1,100,000 kil. de cuivre de première fusion tirés du Chili et du Pérou constituent à peu près le changement de deux navires d’un passable tonnage, en supposant toutefois qu’on ait pu former avec cette sorte de marchandise des cargaisons complètes, ce qui est difficile. Dans cette hypothèse, voici ce qu’aura coûté au trésor public le voyage de ces deux navires pour le retour seulement. Importés d’Europe par navires français, les 1,100,000 kil. de cuivre de première fusion auraient payé, à raison de 2 fr. les 100 kil., et 2 fr. 20 cent. avec le décime, 24,200 francs. Importés du Chili et du Pérou, ils n’ont payé, à raison de 11 centimes les 100 kil., décime compris, que 1,210 francs ; — différence, 22,990 francs. L’état a donc fait en réalité un sacrifice de 22,990 francs pour faire faire à deux navires un long voyage dans l’Amérique du Sud, au lieu d’un voyage court en Europe, et il faut bien remarquer que le commerce n’a profité en rien de cette différence, car il a payé les cuivres tirés du Chili et du Pérou tout aussi chèrement que ceux qui nous viennent de l’Angleterre, de la Russie ou des villes anséatiques. On peut juger, par cet exemple, combien il en coûte à l’état pour maintenir la marine dans sa misérable position actuelle, et combien il lui en coûterait surtout pour la mettre dans une position respectable en persévérant dans les mêmes voies.