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à de vaines formes religieuses et entra avec gloire dans le patrimoine de l’homme. Cette vérité était reconnue par les pères de l’église, quand ils protestaient si éloquemment contre l’édit de Julien, qui leur défendait l’étude des poètes et des philosophes de la Grèce. Ils sentaient bien que cette culture intellectuelle leur appartenait aussi, et, s’ils ne soupçonnaient pas encore que la philosophie antique était une des sources du christianisme, ils se gardaient bien cependant de rompre avec la tradition du genre humain. Faisons de même, nous qui procédons aujourd’hui du christianisme, et ne lui refusons pas cette justice, qu’il n’a pas refusée à l’antiquité païenne. Séparons ce qui a péri et ce qui est le trésor immortel de l’ame. D’un côté sont les formes vieillies, les institutions condamnées, les dogmes impies des temps barbares ; de l’autre, les grands et impérissables principes, le spiritualisme et la fraternité.

Combien sont-ils, d’un bout de l’Europe à l’autre, ceux qui renient ces croyances fécondes et qui s’imaginent les avoir ensevelies à jamais avec les barbaries du moyen-âge ? Une seule école sérieuse, la jeune école hégélienne, a cru trouver le progrès dans un panthéisme grossier qui immobiliserait l’histoire. Qu’ils se comptent et qu’ils voient si le genre humain n’est pas contre eux. Les révolutions qui viennent d’étonner l’Europe ne disent-elles pas assez haut que chaque victoire de la liberté est une conquête pour les doctrines spiritualistes ? Est-ce le règne de la matière ou le règne de l’ame que nous avons inauguré ? Il y a ici un rapprochement bien expressif : lorsque Kant écoutait avec un austère enthousiasme la voix solennelle de 89, lorsque Fichte tressaillait de joie aux hardis décrets de la convention qui créaient un monde, ils saluaient, dans ces prodigieux événemens, la réalisation de leurs sublimes pensées. Ce seul fait suffirait à leur gloire, car toute philosophie qui n’exprime pas l’idée générale de son temps est une philosophie sans mission. En ce moment, au contraire, que voyons-nous ? Tandis que la raison reste seule debout sur les ruines de tous les pouvoirs déchus, l’école qui se croit à l’avant-garde des idées s’efforce de rendre plus lourdes les chaînes de la matière et de courber le front de l’homme sous le joug du naturalisme ! Il est douteux que la jeune école hégélienne trouve dans les révolutions de 1848 la justification de son système. Espérons que la nouvelle philosophie allemande comprendra les leçons de l’histoire, et que ce contraste fera réfléchir plus d’un esprit égaré dans une route illibérale. Après avoir si justement combattu les restaurations du moyen-âge, les jeunes docteurs hégéliens seraient bien malheureux en vérité, s’ils commettaient la même faute et se montraient obstinément infidèles à la pensée de leur époque.

Être en communion avec l’ame du genre humain, connaître son rôle dans le monde et s’y conformer avec amour, voilà le grand devoir