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n’y sont pas conformes, pourquoi parler de libéralisme ? Je sais bien que cet aveuglement des écrivains libéraux était entretenu par les craintes de guerre, et qu’en repoussant l’influence française, on en voulait surtout à notre vieille humeur conquérante. L’admirable attitude de M. de Lamartine rassurera les esprits. On comprendra que les rancunes surannées doivent s’éteindre ; on saura que la république de 1848 n’aspire qu’à la propagande de la pensée et au prosélytisme de l’exemple. C’est un grand pas de fait, mais tout n’est pas fini. On ne renonce pas en un jour à des préjugés devenus des systèmes. Il faudra prêcher long-temps, il faudra mettre à nu, sur toutes les questions religieuses, politiques, sociales, les absurdités sans nombre de l’école historique. C’est ce que M. Strauss vient d’indiquer. Cette dramatique étude, cette personnification de l’école rétrograde dans deux types si vrais et si vivement dessinés saisira les intelligences. C’est une pensée habile d’avoir fait condamner Frédéric-Guillaume IV par saint Grégoire de Nazianze, M. Eichhorn et M. de Savigny par la primitive église, et le moyen-âge par le Galiléen.

Toutefois, s’il y a encore de l’à-propos dans l’esprit général de ce pamphlet, il n’y en a plus dans la forme. Ces allusions ingénieuses, cette fine stratégie, ces hardiesses savantes et circonspectes, tout cela serait puéril dans la situation qu’une première victoire vous a faite. Beaumarchais disait à l’un de ses adversaires : « Vous rôdez, vous glissez, vous minez et contre-minez ; puis, bien et prudemment escorté, vous n’arrivez à l’ennemi que sous la contrescarpe et le chemin couvert. » N’est-ce pas le tableau assez fidèle de ce genre de guerre auquel s’amuse l’érudition de M. Strauss ? Mais Beaumarchais ajoute : « Et moi, semblable au Tartare, à l’ancien Scythe un peu farouche, attaquant toujours dans la plaine, une arme légère à la main, je combats nu, seul, à découvert, et lorsque mon coup siffle et part, échappé d’un bras vigoureux, on sait toujours qui l’a lancé, car j’écris sur mon javelot : Caron de Beaumarchais. » Faites ainsi dorénavant. Et ce n’est pas seulement un conseil littéraire que je donne à M. Strauss ; la question est plus sérieuse : il s’agit de substituer à la discussion théologique la polémique vraiment libérale, celle qui combat visière levée, celle qui s’exprime au nom de la raison dans le langage de tous. On a trop imité dans ces derniers temps l’Allemagne du XVIe siècle, et les formes de la vieille controverse ont déguisé la physionomie vraie de la pensée moderne. M. Arnold Ruge, M. Bruno Bauer, M. Feuerbach, tous ces esprits si ardens ont commis sans cesse la faute que je reproche ici à M. Strauss. Tant que Frédéric-Guillaume IV s’appuyait sur son école historique, vous l’avez combattu avec les armes du passé. Contre les représentans du moyen-âge, les attaques du XVIe siècle, rien de mieux ;