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croient pas. Ils invoquent un vers d’Homère, une légende du moyen-âge, mais ce n’est chez eux qu’un expédient de l’esprit, an lien d’une conviction naïve. Que d’efforts ne font-ils pas pour se donner à eux-mêmes cette confiance impossible ! Un peintre de Francfort achève en ce moment même un tableau singulièrement expressif, dont le plan lui a été indiqué par Frédéric-Guillaume IV. Dieu est dans le ciel, et la royauté, sacrée par ses mains, siège solennellement entre la terre et l’empyrée, comme ces demi-urges alexandrins auxquels Julien se comparait lui-même. Au-dessous de lui, les mortels sont assemblés par groupes, nobles, bourgeois, paysans, et tous élèvent des regards respectueux vers le vicaire de la divinité. Ah ! trois fois aveugle assurément l’homme qui s’obstinait à chercher sa voie dans le polythéisme, quand la pensée du Christ commençait à régénérer le monde ; mais mille fois plus à plaindre est celui-là qui, dix-huit siècles après le Christ, malgré tous les progrès de l’humanité moderne, malgré toutes les victoires de la philosophie, ferme ses yeux à la lumière de 89, et prétend reconstituer je ne sais quelle royauté féodale au moment où les monarchies constitutionnelles tombent, condamnées par les décrets d’en haut !

Un caractère assez plaisant de cette situation d’esprit dont M. Strauss poursuit toujours l’impitoyable analyse, c’est que ces princes, en dépit de leurs conférences secrètes avec la divinité, sont manifestement conduits par des hommes. Julien avait beau se glorifier de l’assistance des dieux, c’étaient surtout les hommes qui l’inspiraient, c’était l’école d’Alexandrie, c’étaient ses maîtres, AEdesius à Pergame, Maximus à Éphèse, et Eusebius, et Chrysantius, et tous ceux qui l’initièrent aux mystères d’Éleusis. On sait aussi quelle fut l’influence de l’école historique sur l’éducation de Frédéric-Guillaume IV. M. Strauss signale en quelques mots des rapprochemens fort singuliers entre les initiateurs de Julien et les maîtres de Frédéric-Guillaume. L’appel de M. Stahl et de M. de Schelling à Berlin a été presque un événement pour l’Allemagne ; c’était une sorte de révolution dans les universités ; on n’a pas oublié les émeutes des étudians, la capitulation de M. Stahl, et l’on comprendra que la spirituelle érudition de M. Strauss prenne un plaisir très vif à retrouver les détails de cette histoire dans les biographies d’Eunape.

Un autre trait encore, aisément reconnaissable chez tous ces princes, c’est qu’ils sont avides de paraître ; initiés à des écoles fausses sans doute ; mais brillantes, il est naturel qu’ils soient passionnés pour le bruit et qu’ils se donnent constamment cri spectacle. Voyez Julien ! il faut qu’il parle, et à tout propos, et avec une abondance intarissable. Ce n’est pas lui qui négligera les occasions de haranguer le peuple, ou le sénat, ou l’armée.., ou la municipalité de Berlin, car en vérité on peut se demander de qui il est question ici. À qui appliquer ces amusantes citations