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cette élection et la manifestation qui l’accompagnait, une manifestation par bandes en l’honneur de son système, n’a-t-il pas distribué aux corporations les écriteaux attachés à leurs bannières avec ces mots : Abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme ? Est-ce lui qui n’a pas voulu qu’on y ajoutât cet autre mot plus significatif : Vive Louis Blanc ! Est-ce ou n’est-ce pas dans son cabinet qu’a été rédigée cette pétition impérieuse jusqu’à l’insolence que le bureau des délégués apportait au gouvernement provisoire comme un ordre ou plutôt comme une menace ?

Le style trahissait bien l’auteur. Or, était-ce une position soutenable pour le gouvernement qui siégeait à l’Hôtel-de-Ville de voir les amis de ceux de ses membres qui n’étaient pas présens venir lui adresser une objurgation si étrange ? (On dit toujours mes amis au Luxembourg ; c’est la traduction poétique du chers camarades d’autrefois.) Quand donc les délégués menaçaient de se présenter avec des milliers d’hommes qui n’y entendaient pas à coup sûr d’autre malice, quand ils voulaient venir signifier face à face au gouvernement qu’on calomniait leurs amis, « les véritables amis du peuple ; » qu’ils étaient, eux du moins, « les hommes de la révolution, les hommes d’action et de dévouement ; » qu’à ce titre, en cette qualité, « il leur appartenait de déclarer que le peuple voulait l’organisation du travail, » quelle pouvait être la pensée du gouvernement ? Ne devait-il pas s’offenser et s’alarmer de voir ainsi distinguer et choisir parmi ses membres ? ne devait-il pas se tenir sur la défensive et opposer la prudence énergique à la violence téméraire ?

Nous ne rappellerons pas les incidens de cette journée, les découvertes qui peu à peu ont éclairé toutes ces menées souterraines, la coïncidence fâcheuse qui permettait de lire d’avance la démonstration manquée du 16 avril dans le Bulletin de la république du 15, ce triste bulletin qui n’est avoué ni par un sexe ni par l’autre au comité de rédaction du ministère de l’intérieur. Nous ne voulons même pas nous souvenir des attitudes trop variées de M. Ledru-Rollin dans ce moment plein d’anxiété ; à l’exemple de leurs collègues du gouvernement provisoire, nous avons presque oublié que ce dimanche-là M. Ledru-Rollin et M. Louis Blanc sont arrivés bien tard à l’Hôtel-de-Ville. Il est une seule chose que nous ne voulons pas oublier, que personne de ceux qui l’ont vue ne laissera périr dans sa mémoire : c’est l’aspect admirable de cette ville immense se levant tout en armes au premier bruit du danger. Le danger, chacun le nommait par son nom ; chacun se sentait prêt à toutes les extrémités plutôt que de se résigner à souffrir un ébranlement quelconque de l’ordre social. Les théories qui de loin déplaisaient déjà tant sortaient enfin de leurs nuages et se promenaient en chair et en os ; elles criaient, non plus aux échos discrets et complaisans de l’ancienne pairie, mais aux quatre vents de la place publique, elles criaient cette parole d’injure et de mensonge, cette vide et sonore parole de charlatan : Abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme ! Sur quoi les vignerons et les maraîchers de la banlieue sont accourus en battant la charge, et ils ont répondu de toute la force de leurs robustes poumons : À bas les communistes ! Nous n’avons pas assez de respect, pas assez d’hommages pour cette merveilleuse justesse avec laquelle le sens populaire va toujours droit au cœur des idées, lorsque le sens populaire n’est pas artificiellement faussé. Les vignerons et les maraîchers de la banlieue ne sont pas de grands savans en socialisme, mais ils ont une autre science : ils savent combien il faut de sueur pour bêcher