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provisoire, dont il est membre ; le gouvernement n’avait point à revenir sur cette mission qui résultait plus ou moins nécessairement du concours des circonstances ; il appartiendra de droit à l’assemblée nationale d’en apprécier et d’en modifier les allures. L’objet éminent de cette mission dans l’idée de ceux qui la sanctionnaient par leur décret officiel, sinon dans l’idée de celui qui s’en emparait, l’objet utile et bienfaisant, c’était de sceller l’accord de toutes les classes entre elles, en donnant aux ouvriers des preuves efficaces de l’intérêt public qui s’attachait désormais à leur condition. Un homme d’état, un patriote haut placé par l’esprit, aurait embrassé cette tâche délicate comme une tâche de réconciliation morale et d’améliorations matérielles, d’améliorations immédiates et pratiques. M. Louis Blanc semble, au contraire, s’être proposé d’allumer toutes les discordes, d’ajourner toutes les affaires.

Qu’a dit en effet M. Louis Blanc du haut de sa chaire curule, qu’a-t-il dit de plus notoire, de plus considérable ? Il a commenté perpétuellement sa brochure et répété cent fois à l’artisan que le bourgeois l’exploitait, comme si l’artisan n’était pas un bourgeois, et le bourgeois un artisan. Il a soulevé le pauvre contre le riche, en lui montrant toujours le mauvais riche et jamais le mauvais pauvre, en faisant de la richesse une espèce de puissance occulte à laquelle on n’atteignait point sans traverser des sentiers obliques, sans fouler aux pieds les corps de ses frères, sans boire la sueur des misérables. Il a si bien déclamé contre la caste, qu’il lui faut supposer, pour l’honneur de son système, qu’en face de cette prétendue caste, qui n’existe pas, il aurait déjà presque suscité des castes véritables, n’eût été jusque dans son auditoire la répugnance instinctive du sens commun. N’est-ce pas, en effet, le plus monstrueux abus d’une inqualifiable sophistique d’avoir renouvelé le moyen-âge en plein XIXe siècle et remis au monde les corporations et jurandes que le grand cri de 89 en avait si glorieusement chassées ? On voit des gens, en petit nombre, c’est vrai, mais on en voit enfin, qui répètent soir et matin le saint nom de 93 avec cette componction qu’il y avait chez les voltigeurs de Coblentz, quand ils parlaient du bon vieux temps ; c’est une manière de se consoler d’avoir manqué la restauration de la guillotine : c’est la restauration ridicule du bonnet rouge et de la carmagnole. Il y en aurait une autre plus ridicule encore et surtout plus funeste, si elle pouvait jamais s’accomplir, ce serait la restauration des bannières du compagnonnage, de ces bannières égoïstes à l’ombre desquelles l’ouvrier français rétrograderait, non plus seulement jusqu’à la déclaration des droits de l’homme du citoyen Robespierre, mais, mieux encore, jusqu’à l’ordonnance des métiers du roi saint Louis. Nous le demandons en gémissant : quand on entend parler à tout moment de droits des corporations et de règlemens d’états, est-ce que l’on ne se croirait pas reporté bien au-delà de 89, dans ce temps d’apprentissage social où la liberté n’avait point encore tiré l’ouvrier des entraves de l’état et de la corporation, pour l’élever à la hauteur d’un patriotisme plus généreux et plus intelligent ? Les préoccupations obstinées des plus étroits intérêts de la vie matérielle iraient-elles donc maintenant jusqu’à effacer à tout jamais dans les ames ce spiritualisme politique qui féconda celles de nos pères ?

Voilà ce que M. Louis Blanc a fait au Luxembourg pour le bien de la paix et de l’harmonie. A-t-il fait davantage pour ces intérêts positifs dont le soin devait si fort lui tenir au cœur ? On dit oui dans un nouveau rapport inséré dernièrement au Moniteur ; la réalité dit non. Ce rapport nous apprend que des indus-