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si le protestantisme y devenait la religion dominante. C’est à peu près comme si, dans deux cents ans d’ici, on proposait d’établir, pour le plus grand bonheur des peuples, le puséysme ou le méthodisme comme religion d’état. Est-ce que tout cela ne fait pas de notre société comme un grand musée géologique auquel manque un Cuvier ?

Combien l’imitation est plus frappante encore dans une assemblée restreinte et dans chaque individu pris isolément ! Entrez, par exemple, dans un club, et, lorsque vous en sortirez, demandez-vous ce que vous avez vu de nouveau et sur quel sujet a porté la discussion. Vous avez vu la plupart du temps une fantasmagorie de ce qui a été réel autrefois, des clameurs, des cris, de la colère à froid, des prétentions tyranniques sans cause aucune et naissant d’un caprice instantané, des passions qui n’existent que parce que tel ou tel système politique a existé autrefois, le tout se terminant parfois par un immense éclat de rire, la seule chose qui soit réelle parmi toutes celles-là. Tout cela est faux et artificiel, parce que ce n’est pas nous qui existions il y a cinquante ans, parce que les passions politiques et les événemens ne sont que des phénomènes dans la vie de l’humanité, et qu’il n’y a pas dans la nature deux phénomènes qui soient parfaitement identiques. Les passions véritables sont émouvantes ; mais les passions imitées, de même que le vice artificiel, ne peuvent offrir qu’un triste spectacle, car l’imitation est aussi une sorte de corruption. On ne refait pas les événemens, qui, dis-je, ne sont que des phénomènes ; on ne refait pas les systèmes, parce qu’un système n’a sa réalité véritable que dans l’esprit de son créateur ; on ne refait pas une doctrine politique, pas plus qu’on ne refait une œuvre d’art, un grand poème, une découverte scientifique. Nous fondons des journaux et des clubs qui portent les anciens titres et les anciens noms de la révolution ; mais, puisque nous voulons imiter nos pères, pourquoi donc, pour prêcher leurs systèmes et prononcer leurs, discours, ne prenons-nous pas des culottes courtes et l’habit taillé à la dernière mode du XVIIIe siècle ? Cette imitation est d’autant plus maladroite, qu’elle est incomplète. J’ai remarqué que depuis le 24 février tous ceux qui se mêlaient de singer les systèmes de la révolution s’intitulaient montagnards. Il n’y en a certainement aucun qui prenne le nom de girondin. Cependant cette imitation de la Montagne ne signifie absolument rien sans une imitation parallèle de la Gironde. Sans une Gironde, comment la Montagne existerait-elle, ou tout au moins le système montagnard ? Enlevez le terme opposant, le système tombe, et alors il ne reste plus que le nom, l’étiquette. Eh ! si vous ne savez rien inventer de neuf, tâchez donc au moins de copier correctement ; si vous n’avez pas de style original, sachez au moins mettre l’orthographe. Qu’il y ait alors une Gironde et une Montagne, et jurez, vous, Gironde, par Pélopidas et Épaminondas, vous, Montagne, par Curtius et Mutins Scévola ; ce que vos prédécesseurs ne manquaient jamais de faire. On vous achèterait et on vous conserverait comme des exemplaires rares d’éditions épuisées.

Une chose terrible, c’est que, envisagée à un certain point de vue, l’imitation devient beaucoup plus redoutable que l’original. On ressent moins les maux causés par la passion, lorsque soi-même on partage ces passions ; le danger disparaît dans le tumulte, et, la réflexion n’y trouvant pas place, le