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solide. Il faut établir dans notre esprit un salutaire égoïsme afin que l’ame ne perde rien de son calme et de son recueillement, afin que, rien ne venant l’obscurcir, elle réfléchisse toutes les choses qui passeront devant elle avec leurs couleurs véritables. Faites de votre ame un vase de cristal froid, net et transparent, au dedans duquel soit renfermé le bon génie du conte arabe, une ruche de verre où les facultés morales, comme autant d’abeilles divines, travaillent et voient de leur demeure les fleurs les plus prochaines dont elles iront prendre le suc. Ne nous dispersons pas, regardons bien autour de nous, méditons long-temps, décidons-nous lentement, redoutons le tapage, qui n’est jamais que passager, pour nous attacher à ce qui seul est éternel, et prenons pour devise cette admirable maxime du théosophe Saint-Martin : « Je n’ai jamais cherché à faire du bruit, mais seulement à faire du bien, parce que le bien ne fait pas de bruit et que le bruit ne fait pas de bien. »

J’ai distingué dans la première de ces lettres trois symptômes principaux. Mais quel est le caractère le plus général de, ce temps-ci, le caractère de cette indifférence qui ne crée rien, de ces utopies qui créent des chimères et de ce désir du bonheur qui s’attache à créer seulement la partie matérielle de l’organisation sociale ? Le caractère général de notre temps, l’étiquette qu’on peut fixer non-seulement à ces symptômes, mais aux mœurs, à la philosophie, au sentiment religieux et aux hommes de notre temps, c’est l’artificiel.

Jetons un regard sur l’état moral de la société avant la révolution de février nous n’avons pas changé depuis ; nous ne faisons pas mine de vouloir changer encore.

Je jette un coup d’œil général et je dis : Notre temps ne peut pas se vanter de posséder des facultés bien profondes. Qu’est-ce que nous voyons ? Beaucoup de parleurs et des plus éloquens, peu de penseurs ; beaucoup d’hommes habiles nageurs, se laissant emporter par les faits au risque d’être submergés, peu d’hommes capables de commander aux événemens ; de la curiosité, peu de jugement ; d’aimables distractions et dispersions de talent, peu d’intensité ; des qualités toutes à fleur d’ame, peu de profondeur ; plus d’usage des facultés passives que des facultés actives, plus d’entendement que de raison ; un dilettantisme brillant, raffiné, très entendu sur beaucoup de matières, mais qui ne peut exister que grace à une certaine étourderie de l’esprit ; de l’érudition et de la science simplement pour l’érudition et la science (ce qui était autrefois moyen servant aujourd’hui de but) ; des croyances complaisantes ; au dehors de la déférence et de la politesse, peu de respect sincère ; au dedans rien que l’amour-propre et l’ironie, voilà ce que nous distinguons. Notre siècle a de bonnes intentions sans charité aucune quoi qu’il dise, l’amour du changement poussé jusqu’aux dernières limites, et cependant l’égoïsme inquiet du repos. Chacun fait usage de son intelligence sans chercher la force particulière, l’aptitude spéciale qui est cachée en lui. La sottise prend un maintien philanthropique et un visage imposant ; le scepticisme qui nous ronge n’est plus même le doute sincère, mais une manière de réveiller la nonchalance et d’animer la conversation publique en, soulevant toute sorte de questions dans les journaux et dans les livres. Nous nous moquons des bouquins d’autrefois sous prétexte que nos pères ne pouvaient écrire que des in-folio ; cela prouve une chose, c’est que leurs livres étaient consciencieux, sincères et sérieux, tandis que nos