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des étrangers et la reconstitution de la nationalité étaient devenues inévitables. Aussi l’opinion publique, en Europe, ne s’y trompait-elle point, lorsque depuis un an on regardait la Lombardie comme perdue pour l’Autriche. Aux yeux de tout le monde, ce n’était plus qu’une question de temps ; mais il fallait, pour amener cette conclusion fatale, une lutte que la politique inaugurée en 1830 mettait toute son habileté à ajourner. Il y a trois mois, la paix du monde était, disait-on, liée au maintien des traités de Vienne, de ces traités si ébréchés pourtant, et les italiens n’ignoraient pas que toutes les grandes puissances seraient d’accord pour prévenir ou réprimer une explosion d’où sortirait la guerre européenne. L’eussent-ils oublié, que la diplomatie n’aurait rien négligé pour le leur remettre en mémoire. Il leur fallait donc attendre, les yeux tournés vers la France, et s’en rapporter à Dieu du soin de faire naître le jour et l’instrument de leur délivrance. Combien qui avec eux calculaient la durée probable d’un règne au-delà duquel on était convenu de renvoyer toute espérance ! « L’affranchissement de l’Italie, disait M. d’Azeglio, dépend d’accidens extérieurs que l’esprit ne peut prévoir, mais que notre cœur pressent. Portons nos regards sur l’état même de la chrétienté, et nous demeurerons convaincus que Dieu a fixé l’heure à laquelle doivent crouler de grandes iniquités[1]. » Or, par une singulière coïncidence, ces paroles étaient écrites à Rome le 24 février, au moment même où tombait ce trône à l’existence duquel se rattachait le statu quo européen. L’avènement de la république a, donc été le deus ex machinâ de cette situation mûre désormais, et dont le dénoûment semblait indéfiniment ajourné.

Certes il est difficile de ne point éprouver un profond étonnement quand on considère l’enchaînement des circonstances inespérées à travers lesquelles s’est accomplie en moins de quatre années cette œuvre sainte de l’indépendance italienne, où tant de dévouement, tant de sang, tant de larmes, avaient été prodigués en vain. Autant le couronnement en est glorieux, autant les péripéties en ont été pressées et inattendues. Nous voudrions jeter sur celles-ci un coup d’œil rapide. Cet examen nous expliquera comment ce qui devenait de jour en jour plus impossible s’est tout à coup trouvé facile, comment l’absolutisme et l’oppression étrangère, qui, en se prêtant un mutuel appui, avaient résisté aux rivalités et s’étaient consolidés par l’insurrection, ont tout d’un coup été vaincus par la parole et par la presse, les deux armes de notre époque. C’est que pour la première fois les Italiens, revenus de leurs erremens stériles, ont compris qu’il était temps de mettre un terme à ces divisions intestines qui, ce n’est pas d’hier seulement, étaient l’incurable plaie de leur pays ; c’est qu’une école s’est formée qui, écartant les dissentimens de détail et les discussions oiseuses sur l’excellence de tel ou tel mode de gouvernement, a proposé d’abord aux efforts de toute la nation un but unique, compréhensible, à la portée de l’intelligence la plus bornée, l’expulsion des étrangers, sachant bien que le premier besoin était de faire vibrer à l’unisson la fibre nationale, et que le peuple, une fois levé pour l’indépendance, le serait aussi pour la liberté.

A l’heure où nous écrivons surtout, un intérêt pressant commande ce retour

  1. I Lutti di Lombardia. — Florence, 1848.