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tout compris, sauf le casernement, 330 fr. par an ; le cavalier 376 fr. ; l’artilleur 413 fr. ; le gendarme, placé dans des conditions différentes, entretient sa famille avec décence, élève ses enfans et reçoit 808 fr.[1]. Si le soldat avait la solde de l’ouvrier, le cumul de ses économies l’aurait bientôt enrichi. C’est donc dans la manière de vivre de l’ouvrier qu’il faut introduire la réforme et porter une nouvelle organisation. La solution du problème est là et point ailleurs.

Pour trouver la confirmation pratique de cette vérité, il n’est pas nécessaire de chercher des exemples ailleurs que dans les ateliers mêmes de l’industrie.

En 1828, si je ne me trompe, de très vives réclamations s’élevèrent sur l’insuffisance des salaires dans les manufactures de drap de Louviers ; une enquête officieuse fut faite, et elle révéla les souffrances les plus poignantes : on fut en particulier frappé de la malpropreté, du dénûment et de l’insalubrité des habitations des ouvriers ; leur état était le résumé de toutes les misères de leurs hôtes. Cependant, au milieu de réduits infects, on remarquait des demeures modestes, mais aérées, bien tenues, respirant le calme et l’aisance ; c’étaient celles des contre-maîtres. On crut d’abord trouver dans cette circonstance la preuve de la justice des plaintes des simples ouvriers et de la nécessité d’augmenter les salaires ; mais, en faisant le relevé des comptes individuels, on fut surpris de reconnaître que les ouvriers, généralement payés à la tâche, gagnaient, dans leur année, de 11 à 1,200 francs, tandis que les contre-maîtres, payés au mois, n’en gagnaient la plupart que 900. Les causes de la différence étaient faciles à saisir : les contre-maîtres, choisis parmi les meilleurs sujets, assujettis par la manière même dont ils étaient salariés à une certaine prévoyance, obligés de se respecter eux-mêmes pour être obéis de leurs subordonnés, contractaient des habitudes d’ordre dont ils recueillaient les fruits ; les ouvriers les plus malheureux, vivant au jour le jour, abusant d’un profit accidentel, sans précautions contre un malheur, dissipaient en désordres le produit de leur travail. Dove c’è miseria c’è vizio, dit un proverbe italien. La nature du mal indiquait celle du remède.

L’horlogerie est à Besançon une industrie ancienne et honorablement exercée. On s’y plaignait beaucoup, en 1833, du tort que faisait à nos ateliers la concurrence de ceux de la principauté de Neuchâtel. Notre infériorité était malheureusement hors de doute ; les primes d’affranchissement d’une prohibition protégée par une triple ligne de douanes ne suffisaient pas pour établir de ce côté de la frontière l’équilibre des prix. Au lieu de 14,839 boîtes de montre en or et de 42,631 en

  1. Budget de la guerre, 1848, p. 217 bis.