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vant que le nombre d’ouvriers nécessaires à une tâche tous les jours plus étroite ? Que fera-t-on alors des ouvriers devenus inutiles ?

Ce n’est point à nous, partisan de la liberté du travail, de répondre à ces questions.

Supposons un instant qu’après une guerre contre l’Europe coalisée, plus malheureuse pour la France que celle qui finit à Waterloo, l’Angleterre eût voulu consommer la ruine de notre industrie, et délivrer à jamais la sienne d’une concurrence importune : qu’eût-elle pu imaginer de plus sûr et de plus ingénieux qu’un traité par lequel il eût été interdit aux ouvriers français, sous peine de fortes amendes, de travailler autant d’heures par jour que les ouvriers anglais, libres de faire à cet égard ce que bon leur semblerait ? Cette interdiction eût soulevé parmi nous de bien autres indignations que le traité d’Utrecht, qui prescrivait le comblement du port et la démolition des fortifications de Dunkerque, ou celui du droit de visite, dans lequel du moins était stipulée une exacte réciprocité. La France se serait révoltée d’un bout à l’autre contre cette oppression du travail, et ce n’eût pas été pour l’Angleterre un médiocre embarras que celui de nous maintenir dans une si odieuse servitude… Eh bien ! nous ne sommes point vaincus. C’est de notre plein gré que nous constituons notre industrie en état permanent d’infériorité vis-à-vis de l’industrie britannique, que nous décrétons ce que Pitt et Castelreagh n’eussent jamais osé rêver, que nous allons au-delà de vœux qu’aucun district manufacturier d’Angleterre ne se permettrait d’exprimer. Nous poussons plus loin la courtoisie : l’Angleterre recueillera le fruit de ces mesures, et nous en prenons tout l’embarras ; notre administration, nos tribunaux veilleront à ce qu’aucun ouvrier français ne travaille assez pour l’inquiéter, et, afin qu’il ne manque rien à la mystification, c’est comme une victoire du peuple et aux applaudissemens de la foule que nous la consacrons.

La presse anglaise s’est peu occupée de nos débats officiels sur l’organisation du travail. Cela se conçoit. Quand nous faisons si bien ses affaires, elle aurait tort de nous distraire de l’accomplissement de notre œuvre. Quoi qu’il en soit, les vrais ouvriers ne seront pas long-temps dupes d’un mirage qui les conduit d’un tout autre côté que celui de la terre promise. Ils demanderont eux-mêmes l’abolition d’une mesure arrachée à l’inattention d’un gouvernement harcelé de tant de soins. Le remède aux plus grands de leurs maux est trop près d’eux pour qu’ils tardent beaucoup à l’apercevoir ; le nom en est inscrit sur leur bannière. Ce remède, c’est la liberté, mais la liberté sincère, complète, absolue. De même que la sagesse, qui fut demandée à Dieu par Salomon, elle donne à ceux qui la font respecter dans leur personne et dans celle des autres la richesse et la puissance. Et qui ne sent que de toutes