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bravo. Je pris les devans sur ceux qui le conduisaient, et j’entrai dans la cabane où reposait don Blas. Le capitaine ne dormait pas, et, à l’aspect de l’homme qu’on lui amenait, sa figure pâle devint livide, un éclair de haine brilla dans ses yeux éteints ; cependant il garda un morne silence. Quant au prisonnier, un air d’impudente assurance avait remplacé l’expression de stupeur qu’on avait pu lire un moment sur ses traits.

— Eh quoi ! seigneur don Blas, s’écria-t-il, que viens-je d’apprendre ? vous êtes dangereusement blessé ? La conducta a été pillée en partie, et l’on m’accuse d’avoir pris part à ce crime ! Vive Dieu ! je suis tenté de penser que je fais un mauvais rêve !

— Je crains que ce ne soit pis qu’un rêve, seigneur don Tomas, repartit froidement le capitaine.

— Que signifie cet accueil glacial ? dit le bravo, car c’était bien lui ; votre seigneurie serait-elle par hasard moins satisfaite de me revoir que je ne le suis de l’avoir rencontrée ?

— Au contraire, répliqua don Blas d’une voix à laquelle une certaine surexcitation paraissait avoir rendu toute sa fermeté ; je doute que vous soyez aussi aise de me rencontrer que je le suis de vous tenir en mon pouvoir.

— Je ne vous comprends pas, seigneur capitaine, répliqua effrontément le bravo.

— Vous allez me comprendre, reprit don Blas. Si je suis satisfait de vous avoir rencontré, c’est que je puis vous traiter comme un voleur de grand chemin, comme un meurtrier, et vous faire fusilier sans autre forme de procès.

Le regard du capitaine, qui exprimait une haine implacable, commentait trop énergiquement ses paroles pour que le bravo, dont la vertu dominante ne semblait pas être le courage, ne perdît pas un moment contenance. Voyant toutefois que son trouble ne faisait que donner à don Blas plus d’assurance, il fit un effort pour maîtriser son émotion et reprit d’une voix assez ferme :

— Me faire fusiller ! mais c’est une plaisanterie à coup sûr ; je ne suis pas si dépourvu de protecteurs que vous pourriez le penser, et…. s’il le faut… je parlerai, seigneur capitaine… je dirai…

Ce fut alors au tour de don Blas de trembler. Le capitaine commanda le silence au bravo d’un geste impérieux, et, faisant signe à Juanito de faire évacuer la chambre, il resta seul avec l’assassin. J’ai toujours ignoré ce qui se passa entre ces deux hommes ; je ne devinai pas non plus pour le moment quelle cause avait si inopinément changé les dispositions de don Blas à l’égard de Verduzco. Je sus seulement qu’après une heure d’entretien le bravo était sorti de la chambre du capitaine