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moins qu’il ne découvre des objets de consommation dans lesquels il n’entre aucune main-d’œuvre, il trouvera, quand il fera son compte, que, s’il a 5 francs de ce qu’on lui payait auparavant 4, ces 5 francs n’en valent guère plus de 4 d’autrefois. Il lui sera difficile de prendre au sérieux ce résultat de la révolution sociale.

Peut-être même sera-t-il quelquefois embarrassé de l’heure par jour dont on lui fait cadeau. Il serait téméraire d’espérer qu’il en sera toujours fait un bon emploi : pour un homme qui ne craindra pas de se singulariser en la passant à l’étude ou dans son intérieur, cent se laisseront entraîner par les meneurs ordinaires des grands ateliers dans les cabarets, les guinguettes et plus loin encore ; rien n’est si cher pour les ouvriers que le loisir, et ce ne sont pas les heures de leur travail, mais celles de leurs distractions qui pèsent à leurs familles.

Employez cette heure au perfectionnement de votre intelligence, dit le décret du gouvernement provisoire en date du 2 mars. Si, dans la pensée d’une majorité d’hommes de lettres et de journalistes, qui ont la conscience de l’utilité de leurs travaux, cela veut dire : Lisez des livres et des journaux du temps, cet emploi risquera de coûter un peu cher. Le prix de la main-d’œuvre finira, quoi qu’on fasse, par se régler sur la valeur réelle du produit du travail, et qu’est-ce alors que la suppression d’une heure de travail par jour ? Pour l’ouvrier toujours valide, régulièrement occupé, placé dans les meilleures conditions possibles, c’est trente jours de travail effectif de moins dans l’année, et trente-six jours en tenant compte des jours fériés ; c’est l’année réduite à trois cent vingt-neuf jours pour la production, quand elle reste à trois cent soixante-cinq pour la consommation, pour les loyers à payer, pour l’intérêt des capitaux engagés : c’est bien pis encore pour l’ouvrier valétudinaire ou assujetti par la nature de sa profession à des alternatives de loisir et d’activité, pour celui qui, par des causes telles que les caprices de la mode ou les intermittences d’une chute d’eau, est obligé tel jour, telle semaine, tel mois ou telle saison, de compenser la stagnation de telle autre période ; celui-là ne manque assurément pas de loisirs pour la culture de son intelligence, mais l’interdiction de travailler plus de dix heures, quand il travaille, est pour lui l’obligation de mourir de faim.

Admettons l’hypothèse peu probable du maintien du prix de la journée malgré la diminution du travail : l’ouvrier ne perd rien, pour un temps du moins, et la mesure se résout en une augmentation du prix des choses, proportionnelle à la quantité de main-d’œuvre qui se rapporte à chaque objet. Dans le prix d’une pièce de satin fabriquée à Lyon, la main-d’œuvre entre pour environ moitié ; la part en est généralement plus forte dans celui des objets dont la matière première n’a pas la valeur de la soie. Quel que soit ce rapport, la cherté des produits en