Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/446

Cette page a été validée par deux contributeurs.


LES OUVRIERS.


Séparateur



Une partie de ma vie s’est écoulée au milieu de travaux qui m’ont mis en contact immédiat avec les ouvriers, non ceux des ateliers où s’énervent trop souvent l’ame et le corps, mais ceux qui manient la bêche et la charrue, nivèlent le sol, font éclater les rochers, fouillent les entrailles de la terre, mettent en œuvre le fer et le bois, ou transportent sur les routes, les fleuves et les mers, les fruits de l’agriculture et de l’industrie. Je pourrais même, aujourd’hui que le titre d’ouvrier est presque aussi recherché que l’étaient, il y a quelques mois, ceux de vicomte et de marquis, me mettre à le porter tout comme un autre ; je suis, en effet, mineur tout au moins autant que Paul-Louis Courier était vigneron et que M. Albert est, dit-on, ouvrier mécanicien. Je plaindrais celui qui, s’étant associé aux labeurs, aux peines, aux plaisirs simples, aux affections naïves de ces rudes travailleurs, ne se sentirait pas pénétré pour eux d’une profonde sympathie. Au premier rang de leurs qualités attachantes est la rectitude d’esprit avec laquelle ils savent apprécier les objets habituels de leurs sollicitudes ; la sérénité de leur jugement n’est troublée ni par les préoccupations de l’amour-propre, ni par les arrière-pensées de l’ambition, et, s’ils se trompent, la pression des forces tantôt vives, tantôt inertes de la nature, avec lesquelles ils sont directement aux prises, les ramène bien vite à la vérité. Si au contraire ils sortent de la sphère étroite dans laquelle ils se sentent forts et expérimentés, ils se défient d’eux-mêmes, deviennent faibles, vacillans, et leur confiance est facile à saisir et à égarer : accoutumés à ne faire que des choses qu’ils savent, ils s’imaginent qu’il en est de même de tout le monde, et croient ceux qui se mettent à leur tête sûrs de la route où