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Que si trae jierro y valor
Que se me pare delante[1].

Calros reprit avec un calme sourire en donnant la réplique :

Que se me pare delante,
Este traidor, falso amigo.
Dile, mi vida, al tunante
Que et valor anda conmigo[2].

Soit qu’elle cédât à la fatigue d’une danse prolongée pendant toute la durée de cette pastorale héroïque, soit que l’émotion générale qui se manifesta au dernier couplet chanté par son adorateur l’accablât, Sacramenta cessa de danser et revint à sa place ; les autres danseuses l’imitèrent. Instruits par l’expérience à ne pas attendre le commencement de la mêlée, dont leurs instrumens sont souvent les premières victimes, les musiciens se retirèrent précipitamment à l’écart. Quelques prescriptions du cérémonial habituel restaient encore à remplir ; les prétendans avaient à racheter les gages dont ils avaient paré la danseuse. L’usage fixe ce rachat à un demi-réal. Les deux rivaux s’avancèrent l’un après l’autre, et remplirent de pièces de monnaie d’argent les deux mains de Sacramenta. Tandis qu’elle recevait, au milieu du murmure flatteur excité par la prodigalité des deux Jarochos, une offrande à laquelle elle ne pouvait, sans grossièreté, se soustraire, ses deux petites mains étendues tremblaient involontairement, et ses lèvres pâlies essayaient, mais en vain, de sourire. Calros cherchait aussi, vainement dans ses yeux un regard d’encouragement. Pâle et muette, embellie par une émotion qu’elle ne pouvait dissimuler, la jeune fille cachait toujours avec le même soin, sous ses longues paupières baissées vers la terre, la préférence qu’elle ressentait sans doute en secret pour l’un des deux rivaux. Le machete allait décider la question, et les plaisirs de la fête allaient être complets pour mon hôte en dépit de ses sages résolutions, quand une femme, fendant la foule, vint lui rappeler le serment qu’il allait violer. C’était la mère de celui dont il devait venger la mort.

— C’est une honte, ñor don Calros, s’écria la vieille femme, d’accepter ainsi au préjudice de votre parole une querelle sans motif, tandis qu’un de vos parens traîtreusement tué n’a pas encore été vengé.

  1. « Tu lui diras, à ton amant, — à ce rival, — que, s’il a du fer et du cœur, — il se mette face à face avec moi. »
  2. « Qu’il se mette face à face avec moi, — ce traître, ce faux ami. — Dis-lui, ô ma vie, à ce vagabond - que la valeur marche avec moi. » On remarquera que j’ai conservé dans le texte de ces couplets l’orthographe particulière aux Jarochos.