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mousse qui en tapisse les racines. Une brise brûlante pénètre sous les fourrés et semble y arrêter le cours de la vie : les bêtes fauves, les oiseaux, les insectes, les plantes, tout se tait, tout dort sous ce souffle enflammé : mais quand le soleil ne dore plus que la pointe des arbres, quand les vapeurs se dégagent lentement de la terre pour retomber plus tard en rosée, ces forêts silencieuses ont un moment de vie prodigieux. Les perroquets, confondus dans le feuillage, font entendre un ramage assourdissant, les oiseaux retrouvent leur voix. Des myriades d’insectes bruissent sous les herbes, de sourds craquemens s’échappent des profondeurs jusqu’alors muettes, les plantes semblent secouer leur léthargique sommeil, et les palmiers darder leurs pointes plus aiguës. Une dernière transformation de la forêt commence avec la nuit : tous les ramages cessent l’un après l’autre, les tons de la verdure se confondent, une teinte transparente s’étend sur tous les objets. Le silence qui succède peu à peu aux bruits assourdissans de la soirée n’est plus celui des heures ardentes du jour. La nuit a ses mystérieuses harmonies, comme le crépuscule ses voix sonores. Le vent du soir frémit à travers les lianes tendues comme sur les cordes d’une harpe éolienne ; les feuilles sèches frissonnent sous les anneaux d’un reptile ; le cenzontle, le roi des oiseaux chanteurs d’Amérique, répète l’un après l’autre tous les bruits de la solitude, et le cuitlacoche[1], qui se balance sur une liane au-dessus des cascades, semble, en sifflant, s’enivrer du murmure des eaux.

J’avais subi, sans pouvoir y échapper, l’influence énervante de la chaleur, et je m’étais endormi sans nul souci de mon cheval. C’était une proie que le moindre voleur eût dédaignée, et je dois du reste reconnaître que, dans les parages où je me trouvais, la probité des habitans n’a jamais souffert d’atteinte. Il faisait encore grand jour quand je me réveillai ; pourtant la brise commençait à tempérer déjà les feux de l’atmosphère. Déjà aussi, au-dessus des arbres qui m’avaient abrité, des essaims de perroquets avaient commencé leur tapage, et cette musique infernale était de nature à ébranler douloureusement les nerfs les moins délicats. L’impatience me prit, et, enfourchant avec une sourde rage la triste monture qui remplaçait mon excellent Storm, je m’élançai dans le sentier tracé qui devait me conduire à Manantial.

Au bout d’une demi-heure d’une marche lente et pénible, toujours poursuivi par la musique irritante des perroquets, j’aperçus un cavalier qui cheminait devant moi. Ce cavalier, vêtu comme l’un de ceux qui avaient un instant interrompu notre partie, semblait aussi agacé que je

  1. Le cenzontle et le cuitlacoche sont les deux types principaux de la classe des oiseaux moqueurs. Le cenzontle sait imiter tour à tour le sifflement du merle, le miaulement du chat sauvage, le cri de l’aigle et du faucon, le hurlement du coyote, le gémissement de la chouette et du hibou.