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progrès. Elle est aussi, et sans comparaison, la plus grevée de toutes. Outre qu’elle paie des droits assez élevés sur ses principales matières premières, le lin et le chanvre, et que ces droits ne lui sont pas restitués à la sortie, elle supporte beaucoup plus qu’aucune autre les conséquences de l’exhaussement artificiel du prix des houilles, des métaux, des huiles, du cuir, du bois et de toutes les autres matières qu’elle emploie. Cela résulte de ce que ses machines sont à la fois plus compliquées et plus lourdes, de ce qu’il y entre une plus grande quantité de fonte, de fer et d’acier. Les concurrences qu’elle rencontre à l’étranger ne sont pas d’ailleurs moins redoutables que celles qui menacent toute autre industrie. Si avec tant de circonstances désavantageuses l’industrie linière peut se soutenir actuellement sous l’abri d’un droit de 25 pour 100 vis-à-vis de l’industrie anglaise, de 12 à 13 pour 100 vis-à-vis de l’industrie belge, qui osera nous affirmer en face qu’une prohibition absolue est nécessaire à l’industrie de la laine ou du coton ?

La manufacture du coton est aujourd’hui très avancée en France, où elle est déjà fort ancienne. Elle est pourtant inférieure, nous le reconnaissons, à la manufacture anglaise, mais en quoi et pourquoi ? Sans parler du coût relativement plus élevé du coton brut, des houilles, des machines, etc., elle est inférieure en cela surtout qu’elle n’opère pas sur une aussi grande échelle, et que la division du travail n’y est pas poussée au même degré. Et si l’on cherche la cause de cette infériorité, on trouvera qu’elle dérive de ce que la consommation, entravée par le haut prix des matières premières, est moins étendue, soit au dedans, soit au dehors. Vainement espère-t-on que cette infériorité s’effacera avec le temps : elle durera autant que la cause d’où elle dérive. Après tout, cette infériorité, quoique réelle, n’est pas aussi grande ni aussi générale qu’on le prétend. Il s’en faut qu’elle établisse en moyenne des différences de 25 pour 100 sur les prix. Elle disparaît par rapport à certains articles que nous produisons aussi bien et à aussi bas prix que l’Angleterre ; elle est même remplacée pour quelques autres articles, par exemple les tissus imprimés, par une supériorité décidée et manifeste. En veut-on la preuve ? que l’on consulte seulement le tableau de nos exportations. Tandis que ces exportations ne se sont élevées, pour les tissus de lin et de chanvre, qu’à une somme de 26,300,000 fr., elles ont atteint, pour les tissus de coton, le chiffre de 139,800,000 fr. Pour les fils, c’est 865,000 fr. d’un côté et 7,700,000 fr. de l’autre. La comparaison est donc tout à l’avantage de l’industrie du coton : aussi peut-on dire qu’une protection de 15 à 18 pour 100 au plus équivaudrait largement pour elle à la protection de 25 pour 100 qui couvre l’industrie du lin. Par conséquent, en proposant comme mesure transitoire et d’essai, pour remplacer la prohibition actuelle, un droit moyen de 22 à 25 pour 100 de la valeur, nous nous portons bien au-delà des limites que la prudence indique.